Vendredi, c’est réunion publique à Loupian au centre Nelson Mandela avec les habitant·es concerné·es par le passage de la LGV sur le secteur de l’agglomération de Sète .
À l’initiative de l’association ALT (Alerte LGV Thau) qui a pour président Félix Caron, un autre président était invité, celui qui a remplacé François Commeinhes aux commandes de l’agglo, le socialiste Loïc Linarès.
Dans la salle, le calme apparent ne masque plus ni la colère ni l’angoisse. La fébrilité est même palpable. Alors que cette réunion est publique, il est demandé à notre correspondante d’arrêter de filmer. Pas encore rompue aux rapports de force ou de séduction que le pouvoir aime à exercer sur les gens ou sur les journalistes, notre apprentie journaliste-citoyenne s’exécute poliment et coupe sa caméra. Mais, témoin de cet abus d’autorité, un autre citoyen déclenche l’enregistrement de son smartphone, garantissant ainsi l’authenticité des propos rapportés.
L’urgence, c’est maintenant
Bref ! Tandis que les bulldozers se profilent à l’horizon de 2029, les élus tergiversent, les procédures s’enlisent, et les habitant·es subissent déjà, en silence, les premiers effets d’un projet dont personne ne maîtrise vraiment les contours. « L’urgence, c’est maintenant. Dans huit semaines, le ministre des Transports remet son rapport au Premier ministre. Ce sera ensuite le temps des arbitrages, attendus pour cet automne » prévient Félix Caron. Le scénario a des allures de déjà-vu. Les discours des élus se veulent prudents, nuancés, responsables. Mais sur le terrain, l’irréversible est en marche. Et il inquiète. Profondément.
Car loin des promesses de dialogue du nouveau président et de mobilité verte, c’est une autre réalité qui se profile sur le bassin de Thau : un viaduc de 1,4 km de long et 21 mètres de haut prévu au bord de l’étang de Thau, à fort impact visuel et environnemental. Une participante dénonce au passage le non-respect de l’échelle dans la représentation graphique des ouvrages d’art, estimant que cela relevait d’une stratégie de minimisation volontaire de l’impact. Reste que 2 770 hectares d’espaces agricoles et naturels seront nécessaires au passage de cette ligne, soit l’équivalent de 3 750 terrains de football. Plus troublant, 16 zones de captage d’eau potable seront affectées. L’estimation à 80 % la perte des TGV desservant la gare de Sète, préfigure un coup terrible pour les voyageur·ses et le tourisme local ainsi que pour le thermalisme balarucois, déjà mis à rude épreuve par la dégradation continue de la desserte actuelle. Que restera-t-il d’un cinquième d’une desserte actuelle réduite à 5 TGV quotidiens pour Paris ? Le compte est vite fait : un !
Les élus temporisent sans s’engager
« Nous les élus, on essaie bien sûr de défendre les intérêts du territoire, on essaie bien sûr de représenter l’ensemble de la population et je dis bien l’ensemble de la population parce que c’est aussi une réalité. L’autre soir par exemple j’étais à la réunion publique à Frontignan et là-bas ils sont plutôt pour la LGV dans le sens où ça libère les sillons sur la ligne historique et que sur le bassin de vie où il y a soixante mille habitants, la question du TER au quotidien c’est une attente forte » affirme le nouveau président de l’agglomération de Sète.
Avec une bonhomie que nul ne peut lui contester, Loïc Linarès déballe alors toute l’argumentation de la présidente de la Société de financement de la Ligne Nouvelle Montpellier-Perpignan (SLNMP) qui n’est autre que Carole Delga, présidente du conseil régional d’Occitanie. Une présidence qui veut incarner une « mobilité plus durable qui favorise le report modal, réduit les émissions, modernise le réseau ferroviaire et articule la LGV avec les usages du quotidien » pour reprendre le jargon habituel.
Mais pour cette première confrontation directe sur ce sujet, Loïc Linarès s’est bien gardé d’énoncer une position claire. Loïc Linarès s’est cantonné aux éléments de langage de la SLNMP, tout en donnant l’illusion du dialogue. D’emblée, il se positionne comme le « représentant de tous », dissociant quand même à mi-mots les opposants à la LGV qui s’expriment dans la salle et ses supposés partisans (cités à Frontignan). Stratégie classique pour neutraliser le conflit en invoquant la complexité des points de vue. C’est pourtant bien le représentant d’une association localisée à Frontignan, Mathieu, qui a rappelé les motifs de proclamer « La LGV, ni ici, ni ailleurs« . Et l’argument avancé selon lequel la création d’une seconde ligne pour les TGV permettra d’améliorer sur l’ancienne le trafic des trains régionaux n’est pas plus crédible que celui qui vend la ligne LGV par la promesse d’y développer le fret de marchandises. Comment le croire quand toute la politique de la SNCF consiste à brader cette activité, avec baisse de 10% de son personnel et de 30% de son activité ?
Vagues promesses et mélange des genres pour faire avaler la pilule
Si Loïc Linarès se déclare encore « sceptique » sur le tracé et le coût, il défend le principe d’une ligne nouvelle. Et de fait, il enchaînera les arguments disparates, sans hiérarchisation, actant de fait l’inéluctabilité du projet : « Il y a la question du tourisme… il peut y avoir un effet de desserte… mais aussi l’intérêt d’un doublement… projet en lien avec la métropole… le trait de côte… ». Le président ne contestera pas la perte de desserte par TGV de la gare de Sète, mais l’enterre sous des données générales et des demandes de « garanties », sans échéances ni modalités. Ainsi, l’enjeu n’est plus le projet lui-même, mais le niveau de garantie que l’on pourrait en obtenir.
Aux questions précises concernant l’impact des fondations du viaduc sur les nappes phréatiques et sources locales, dans un contexte de raréfaction hydrique, le président de la SAM (Sète agglopôle méditerranée) reste vague et botte en touche, en renvoyant les études et décisions sur des autorités extérieures : « Est-ce que ça dépend du SAGE ? De la CLE ? On attend le retour… »
La question environnementale est noyée dans un lexique bureaucratique (SAGE, CLE,) et repoussé à plus tard « on verra », on attend, ce qui n’est pas de nature à rassurer les usager·es du cycle de l’eau du Bassin de Thau, déjà échaudé·es par des expériences de chantiers lancés sans enquête environnementale sérieuse préalable.
« On ne va pas se mentir […] si ces dossiers, s’ils vont jusqu’au bout forcément, il y a des conséquences », avoue Loïc Linarès. Il admet une dégradation inévitable, mais s’en remet à des compensations environnementales et indemnisations, reconnaissant ainsi le « dommage collatéral admis », conforme au droit, mais en décalage avec la réalité des pratiques et la gravité des enjeux écologiques.
C’est là qu’intervient la question de la politique d’achat foncier déjà très engagée par la SNCF qui, corrélée aux promesses d’indemnisations, cherchent à neutraliser la colère des habitants, au prix d’une surenchère du prix du foncier que le président lui-même est obligé de reconnaître « La SNCF négocie de gré à gré » à partir d’estimations élevées fixées par les Domaines… « ça fait flamber le marché« . Mais il n’apporte pas l’ombre d’une solution pour freiner ce phénomène, avant que ce même « marché » ne s’effondre .
Ultime astuce : l’effet de diversion par saturation : « LGV, route de Mèze, doublement de la voie vers le port » de Sète, il réussit à empiler les projets d’aménagement, place la LGV dans un ensemble de contraintes territoriales plus vastes, et noie la question spécifique de son impact. L’idée : déplacer la potentielle conflictualité de la LGV vers un débat technique sur l’aménagement global du territoire. Sinon pour l’heure, le gel de la participation financière de l’intercommunalité semble rester d’actualité, car « il faut un travail plus sérieux, avec les bons interlocuteurs autour de la table, » explique le président de l’agglo.
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Balafrer le paysage
Mais ici, le niveau de stress est important. La population s’inquiète de cette LGV qui va venir balafrer le paysage du bassin de Thau, et surtout la vie quotidienne que tout cela va gravement perturber.
Une autre participante demande « est-ce que vous avez chiffré l’avancée des travaux ? […] L’impact pour la vie des gens, les routes coupées ou encombrées de camions, les déplacements scolaires… quels seront les effets concrets des travaux sur la vie quotidienne des habitants ? » La question dépasse ici l’aménagement global : on parle du vécu des riverains, souvent ignoré dans les grandes concertations.
Issanka est le premier site touché. « Il y a eu des maisons achetées, détruites, squattées […] une dame vit seule et vit dans la crainte ». C’est une violence invisible, mais bien réelle qu’impose déjà cette LGV : l’achat anticipé et la démolition ou pas de maisons créent des friches urbaines anxiogènes, parfois livrées à l’insécurité. Cela nourrit un sentiment d’abandon, de dépossession silencieuse. Triste préfiguration de la gestion du projet.
Que peut-on en retenir ? ALT n’est pas pour l’immobilisme. Son président demande un projet révisé, repensé, réaliste. Moins coûteux, moins brutal, mieux intégré. Un projet qui respecterait davantage les habitants. Ce que la SNCF appelle aujourd’hui « gains d’efficacité », d’autres le vivent déjà comme des pertes irréparables.
A émergé dans le débat le constat que ce projet du siècle dernier qui n’est pas « en adéquation avec ce qu’il faut faire pour la planète » ne répond à aucun besoin du territoire du Bassin de Thau. Géré par l’état technocratique macroniste, « il répond juste aux intérêts des grands groupes du BTP » affirme un citoyen qui estime de son devoir d’interpeller les élus qui le cautionnent.
À la sortie, une femme constate « en réalité, on va regarder les trains passer, des trains qui ne s’arrêteront pas, avec un trafic jour et nuit, dans lesquels on ne pourra même pas monter à moins d’une heure de transport…. Et en plus, on devra payer la facture pour cette catastrophe qu’on lègue à nos enfants« .
Contre ce sentiment d’impuissance et d’amertume laissé par ce débat peu concluant, certain·es sont prêt·es à aller « jusqu’au bout » pour empêcher la réalisation du projet et envisagent d’organiser une ZAD pour éviter que n’advienne cette catastrophe annoncée.
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