Suite au suicide d’un agent de France Travail de l’Hérault en 2024, une enquête du cabinet d’expertise Isast a été diligentée par le Conseil Economique et Social de France Travail Occitanie. Ses conclusions rendues en décembre soulignent une situation alarmante pour les agent·es de France Travail, malaise que la crise économique et la réforme du RSA applicable depuis le 1er janvier 2025 risquent d’aggraver encore davantage.
Alors que la ministre du Travail du gouvernement Barnier avait annoncé la suppression de 500 postes à France Travail ( 500 ETP – équivalent temps plein), plus d’un million de bénéficiaires du RSA seront inscrits d’office à France Travail à partir de janvier, 1 million de personnes supplémentaires que ses agent·es déjà surbooké·es devront suivre. Parallèlement, près de 300 000 suppressions d’emplois sont d’ores et déjà annoncées.
Des agent·es « au taquet »
Quand on sait que certains “conseillers placement” ont déjà la responsabilité de “portefeuille” (oui, c’est le mot utilisé !) pouvant comprendre de 400 à 500 personnes, et même 800 dans certains cas, on imagine aisément la charge de travail et la pression qui pèsent sur chacun d’elleux. Le rapport de l’Isast consulté par Médiapart alerte : “La logique gestionnaire des indicateurs d’activité rentre en confrontation avec les exigences émotionnelles intrinsèques au métier ( confrontation à la pauvreté, à la précarité, dans un bassin d’emploi par ailleurs spécifiquement précaire)”. Il faut rappeler que le taux de chômage en Occitanie est supérieur à la moyenne nationale et place la région 2ème après l’Ile de France.
L’incohérence d’appliquer au public les méthodes du privé
Appliquer aux services publics les méthodes de management du privé est une absurdité qui mène à l’impasse pour l’efficacité du travail. Pire encore pour ses agent·es, c’est une perversion et un non-sens que d’être passé du rapport aux usager·es-citoyen·nes – au service duquel les services publics dans leur ensemble sont censés œuvrer – à une “clientèle”. Lentement mais sûrement, la logique marchande s’est insinuée au cœur de la fonction publique, que ce soit à France Travail, à la Poste, à la CAF ou dans les Hôpitaux.
Le rapport le constate de manière plus feutrée : “Lorsque les politiques sociales sont amenées à subordonner leur action à des impératifs de programme, de budget /…/ elles ont tendance à occulter, voire à nier la relation de personne à personne, de sujet à sujet qui constitue la condition première du travail social”. Parce qu’accompagner des personnes sans emploi, c’est un travail social avant d’être une performance statistique. Or les agent·es le disent, ils et elles ont de moins en moins de temps à consacrer à cette mission, ce que pointe le rapport : “Le temps dédié au vrai accompagnement se réduit parfois à un jour par semaine”.
Versant “évaluation”, on peut se demander à quoi riment les “enquêtes de satisfaction” auprès des demandeurs d’emploi et des entreprises, quand on sait que 520 000 emplois seulement seraient vacants et proposés en France pour 5,4 millions de chômeur·es inscrits. Peut-on faire porter aux agent·es de France Travail – qui ont déjà subi les restructurations ANPE-ASSEDIC en Pôle Emploi puis la transformation en France Travail – la responsabilité des politiques nationales qui ont conduit à cette situation ?
Novlangue en réponse
Sollicitée par Médiapart, la direction régionale de France Travail indique avoir présenté en décembre « un plan d’action visant à renforcer la prévention des risques psycho-sociaux avec une focale sur le métier de responsable d’équipe » ( poste qu’occupait le cadre qui s’est suicidé l’an dernier) autour de deux axes : “ le renforcement de la sécurité et de la sûreté des agences et le développement d’une culture interne basée sur la confiance”. Face à la dégradation des conditions d’emplois et surtout d’accueil des personnes de plus en plus nombreuses qui en sont privées, il sera plus facile en effet de recruter des vigiles que des conseiller·es emploi, surexploité·es et impuissant·es à assumer leur mission d’accompagnement.
La direction assure avec la parfaite novlangue des cabinets de conseil : “Ce plan s’intègre pleinement dans la politique nationale et régionale sur ces sujets, la région Occitanie comme l’ensemble des établissements de France Travail font de la lutte contre le risque psychosocial une priorité constante”. On sait ce qu’il en est des grandes priorités dans notre pays : que ce soit celle de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ou du droit à avoir un toit… La “culture de la confiance”, ce n’est pas pour aujourd’hui, et certainement pas avec ces gouvernements de bateleurs de foire qui font toujours l’inverse de ce qu’ils proclament.
