L’Ordre des médecins nous rejoue la même rengaine que dans les années 1980. Il y a quelques jours, il appelle le gouvernement à ne pas «former trop de médecins», car il estime déraisonnable qu’il y ait en 2040 une hausse de 30% du nombre de médecins.
Mais quelle mouche a donc piqué cette organisation censée représenter la profession alors que le débat actuel tourne autour du manque de médecins et de leur inégale répartition sur le territoire, laissant une partie de plus en plus importante de la population dans des déserts médicaux !
Le risque d’un excédent de médecins n’existe pas
Regardons de plus près les chiffres actuels. D’une part, notre système ne s’effondre pas complètement, car plus de 15 000 médecins retraités continuent à exercer, mais ils cesseront définitivement leur activité dans un délai assez bref. Par ailleurs, il faut prendre en compte le fait que le seul chiffre brut du nombre de professionnels n’est pas un indicateur pertinent, mais qu’il faut réfléchir en termes de force de travail disponible. Or les médecins d’aujourd’hui ne travaillent et surtout ne souhaitent plus travailler comme leurs aînés, avec des horaires à rallonge et jusqu’à un âge très avancé. Il s’agit d’une évolution sociologique inéluctable et – n’en déplaise à certains – plutôt positive tant pour les médecins que pour les patients. Les experts s’accordent donc pour considérer que pour remplacer un médecin qui part à la retraite, il faut au minimum 1,5, voire 2 praticiens. Or les médecins qui débuteront leur carrière dans 10 ans seront au nombre de 12 000, soit un nombre légèrement supérieur à celui de ceux formés dans les années 1970 et qui cessent aujourd’hui leur activité. Donc, alors que la population a augmenté, qu’elle a vieilli, que les avancées médicales nécessitent plus de temps médical, en particulier en termes de coordination entre les différents spécialistes, le risque d’une pléthore de médecins n’existe pas.
Une pénurie profitable
Alors pourquoi cette crainte d’une pléthore de médecins ? C’est très simple. Face aux réductions budgétaires, la crainte de la corporation est que la taille du gâteau à se partager se réduisant et de l’autre côté le nombre de bénéficiaires augmentant, la part – donc la rémunération – de chacun risque de diminuer. Par ailleurs, une situation de pénurie renforce la position de la profession face aux pouvoirs publics en lui donnant des moyens de pression importants. Il s’agit donc bien d’une vision égoïste et corporatiste au détriment des patients.
Il est temps que les citoyens, tous futurs patients, prennent leurs affaires en main. La santé est une question politique qui ne doit pas être laissée dans les mains d’intérêts corporatistes sans aucun contre-pouvoir, surtout quand ils sont représentés par un Ordre dont la légitimité sur de nombreuses questions est de plus en plus contestée.
Si les médecins veulent voir leurs conditions d’exercice et de rémunération s’améliorer, ce ne pourra se faire que dans le cadre d’un juste équilibre avec les besoins légitimes des citoyens qui financent le système via leurs cotisations sociales et qui ont donc leur mot à dire.
