Se nourrir est un petit geste du quotidien d’une grande importance, la conférence-débat organisée la semaine dernière par « Lunel collectif » sur le thème de l’alimentation aussi. Au restaurant « Derrière l’église » à Lunel, plusieurs intervenant·es, spécialistes de la question, ont animé cette rencontre.
Marie-Thérèse Mattera, médecin généraliste à Sète, a parlé de l’importance de l’alimentation pour la santé et le développement physique, en insistant sur la valeur des aliments issus de l’agriculture biologique. Leur richesse en fibres, et donc en éléments minéraux, antioxydants, oméga 3, « limite les besoins d’aliments carnés tout en contenant moins de nitrates et de résidus de pesticides. » Ces points ont pour conséquence de moins exposer les consommateurs à de graves maladies, comme le cancer ou le diabète. Elle a souligné que l’on remarque « la recrudescence de maladies que l’on pensait d’un autre temps », comme par exemple le scorbut, causées par certaines carences nutritives.

Offrir de la nourriture saine à tous
Agriculture biologique, suralimentation, rôle de l’industrie ou encore le rapport entre grande distribution et le marché « bio », rien n’a été oublié lors de cette conférence. Axe fort : la présence – ou non – de produits issus de l’agriculture biologique dans l’alimentation des écoles et des hôpitaux, leurs quotas au sein des cantines scolaires restent des enjeux de santé publique.
Marie-Thérèse Mattera insiste sur « l’importance de dispositifs préventifs dans certains établissements scolaires ou hôpitaux », et sur la mise en place «en coordination avec l’ensemble des soignants ou du personnel éducatif. » À Sète, par exemple, l’intérêt des aliments cuisinés « soi-même » a été mis en avant auprès des enfants et adolescents, par opposition au fait de consommer des aliments transformés industriellement.
Quid de la proportion de bio dans l’alimentation, et quid de la législation liée à la labellisation de ces produits ? Aussi dès que l’on aborde la question des produits issus de l’agriculture biologique, une question reste inévitable : ces aliments, par leur prix plus élevé, sont-ils à la portée de tous les budgets ?
L’approvisionnement local « Sud de France » et « Locavores »
Valérien Picard, directeur de la Biocoop de Lunel, semble particulièrement attentif à cette problématique. Investi dès les années 2000 dans le commerce d’alimentation biologique, il est convaincu de l’importance d’agir pour « promouvoir l’alimentation biologique pour tous », dans une autre logique que la recherche de profit. C’est avec une très grande franchise qu’il évoque « l’approvisionnement local », brisant l’idée utopique d’un approvisionnement « ultra-local ». L’appellation « Sud de France », créée au début des années 2000 a été une première étape dans cette recherche, mais répondant aux découpages régionaux.
Ainsi, le riz produit aux Saintes-Maries-de-la-Mer ne peut être vendu à Lunel sous cette appellation malgré la proximité géographique de ces deux communes. En revanche, Valérien Picard parle alors avec beaucoup d’intérêt du concept des « Locavores ». Comprendre : les produits portant ce label sont issus d’un rayon de 150 km, indépendamment des découpages administratifs.
Ne ruiner ni les consommateurs ni les écosystèmes ?
La Sécurité sociale de l’alimentation a été défendue par Serge Caudullo pour « changer l’assiette de beaucoup de monde… Non ! Ce n’est pas une utopie. » Le docteur Serge Caudullo l’explique ainsi : « il s’agit d’un dispositif qui traduirait la volonté d’inscrire dans la loi française un droit à l’alimentation, tout comme il existe un droit à la santé et à l’éducation ».
Pour comprendre l’idée, il faut regarder de près quels sont les principaux piliers de la Sécurité sociale, fondée, au lendemain de la seconde guerre mondiale par le Gouvernement provisoire de la République française : L’universalité, le conventionnement, et la cotisation sociale.
Avant 1945, les assurances sociales étaient des caisses patronales et des mutuelles, systèmes très inégalitaires et paternalistes. Afin de faire émerger l’idée de la Sécurité sociale, Ambroise Croizat, ministre communiste syndiqué à la CGT, consacra toute son énergie à ce projet, non sans rencontrer de nombreux écueils. Pour que ce système puisse fonctionner, il faut un financement : ce sera une cotisation sociale incluse dans le salaire et prélevée à la source là où la richesse est créée par les entreprises, avant que l’actionnariat ne rafle la mise.
Un système de cotisation fut alors mis en place selon les revenus de chacun, afin de générer un ruissellement des richesses vers toute la population. Ce système a permis de mettre en place les bases du système médical que nous connaissons de nos jours (maternités, CHU…), sans faire appel ni aux banques ni à la dette. Rappelons que contrairement à l’impôt, qui demande au contribuable une participation sans contrepartie et laisse l’État souverain de l’utilisation des fonds récoltés, la cotisation reste dédiée à un domaine bien défini.
LIRE AUSSI : « Sécurité sociale de l’alimentation : un grand projet politique en expérimentation »
C’est pour cela que depuis 2019, émerge peu à peu l’idée d’utiliser ce même principe pour l’alimentation. Bien sûr il existe des organismes qui œuvrent pour l’alimentation des plus démunis – et Serge Caudullo y participe activement – pourtant, ces démarches ont des limites : les produits alimentaires distribués sont d’une part souvent dépendants des stocks de surplus issus de la grande distribution, ce qui, bien avant de résoudre les besoins de populations dans le besoin, permet à la grande distribution de « se débarrasser » d’invendus qui demanderaient de toute façon des frais de bennes, tout en se donnant une image bienfaitrice, et d’autre part des produits expressément fabriqués par l’industrie agroalimentaire pour les faibles budgets, avec dans les deux cas une exonération fiscale.
On regrette, comme le souligne le docteur Caudullo, que les produits distribués soient de faible valeur nutritive favorisant souvent obésité, diabète. « Des aliments à la base peu chers, dont les invendus, sont distribués aux plus démunis permettant non pas de vivre, mais de survivre ». On ne peut dès lors que constater et regretter des inégalités toujours croissantes, avec ces dernières décennies une augmentation de la consommation des produits ultra-transformés dans les foyers les plus modestes.
Dans le même temps, le monde agricole est, quant à lui frappé – entres autres – par les pathologies liées aux pesticides, et reconnues comme maladies professionnelles : la maladie de Parkinson, le cancer de la prostate et certains cancers hématologiques, en forte recrudescence. L’agriculture biologique, quant à elle, souffre d’une image d’alimentation chère, « pour riches ».
Carte vitale de l’alimentation
La sécurité alimentaire aura pour vocation la démocratisation de l’alimentation saine, ainsi que de donner à l’humain un rôle actif dans le choix de celle-ci. Contrairement aux mutuelles, « Ceux qui cotisent le moins auraient le plus ». Tout comme la « sécu », ce système doit être mis en place à l’échelle nationale grâce à une cotisation sociale obligatoire. Une « carte vitale de l’alimentation » serait créée, et les acteurs de ce système seraient conventionnés, de manière à donner la priorité aux circuits courts, aux petits producteurs respectant l’environnement, et aux produits bruts. Les cantines scolaires seraient incluses dans ce dispositif. La grande distribution, quant à elle, n’en ferait pas partie.
Cela permettrait d’avoir un impact sur l’agriculture, en stimulant l’agriculture biologique et en incitant la diversité de production de certaines régions, très centrées sur la viticulture, qui connait une surproduction mondiale. Comme pour la Sécurité sociale de la santé, les cotisants participeront selon leurs moyens, et recevront, en cas de besoin, un avoir alimentaire de 150 euros par mois.
Et pourquoi pas améliorer les revenus agricoles, tant qu’on y est ?
Rappelons que les agriculteurs sont les premiers à payer l’évolution de la production alimentaire : le nombre d’agriculteurs a considérablement baissé depuis 1945, et l’installation est de plus en plus difficile pour les jeunes. Pour une valeur de 100e de produits alimentaires vendus, 6.5% seulement parviennent au producteur agricole. Dans le même temps on a de plus en plus d’exigences à l’égard du paysan : pas ou moins de pesticides, des pratiques respectant l’environnement, et de moins en moins d’aides destinées à la conversion en agriculture biologique. Les charges, quant à elles, restent importantes, la grande distribution exige des prix les plus bas possibles… cela n’est pas tenable !
La conséquence ? Des clivages sociaux alimentaires, qui rendent la consommation de produits bio hors d’atteinte pour la plupart des revenus, et de plus en plus de problèmes de pollution – notamment dans l’eau potable – apparaissent.
La Sécurité sociale de l’alimentation permettrait l’accès à une alimentation de qualité par tous et amènerait à booster non pas la grande distribution, mais les producteurs, grâce à une clientèle nouvelle et nombreuse orientée vers eux par le conventionnement. L’ambition est de créer ce système de l’alimentation.
Un système utopique ? « Pas plus que d’instaurer la Sécurité sociale en 1945, alors que notre pays était à genoux ! » répond Serge Caudullo. Qu’attendons-nous pour mettre en place ce système ?
