Elu depuis 23 ans, François Commeinhes a battu le record de longévité pour un maire de Sète. Il est un autre record qu’il est en passe de détenir, c’est celui des condamnations de justice, à l’exemple de son ami Gilles D’ettore dont il a été deux fois le suppléant aux élections législatives de 2007 et 2012. Au point qu’il est surnommé jusque dans la presse nationale le « Balkany du Sud ».
Lors de sa première élection en 2001 , François Commeinhes n’avait pour lui que la relative popularité d’avoir « accouché » une petite partie de la population sétoise, et non celle de son engagement politique au service de la cité car il n’en avait pas. Disons qu’il n’a pas d’autres convictions que cette assurance des grands bourgeois d’être « au dessus de la plèbe » (et même des lois) et de devoir leurs indécents privilèges à leurs mérites personnels. C’est sans doute ce que pensent aussi ses héritiers qui reprendront ses multiples affaires familiales. Les dividendes de ces supposés mérites ont été grandement augmentés par l’exercice de nombreux mandats publics, de leurs rémunérations directes et cumulées à leurs pouvoirs exorbitants.
Sans conviction donc, ni doté d’un sens particulier du service public, lui qui gère la florissante polyclinique privée Sainte Thérèse, François Commeinhes s’est présenté aux suffrages sous diverses étiquettes : UMP quand l’UMP avait le vent en poupe, puis conjointement les Républicains et En marche (LREM) quand le camp macroniste donnait l’illusion à cette même bourgeoisie qu’elle pouvait continuer de défendre ses intérêts sans avoir à se déclarer à droite ou à gauche. Il est probable, il est souhaitable que le problème des soutiens et des étiquettes ne se pose pas pour lui en 2026 puisque l’accumulation de ses condamnations devrait le rendre inéligible.
L’appétit du gain en guise de boussole
Il ne fait mystère pour personne que ce sont bien les appétits affairistes du médecin-gynécologue qui ont motivé son engagement dans la gestion des affaires publiques. Un maire en France est, en écho au Président monarque, le grand seigneur de la commune, surtout quand il se fait adouber à l’échelle d’une intercommunalité et de ses satellites. La Révolution Française n’a hélas pas aboli toute forme de féodalisme. L’appétit venant en mangeant, il a aussi été élu conseiller départemental en 2008 puis sénateur de septembre 2014 à septembre 2017. Seule la loi limitant le cumul des mandats l’a contraint à quelques démissions. L’ironie du sort veut qu’au Palais du Luxembourg, le maire de Sète soit intervenu pour la moralisation de la vie politique et se soit félicité des limites mises au « pantouflage » (désignation du passage des affaires publiques aux affaires privées et vice-versa) des hauts fonctionnaires[1]. En tant qu’élu, sans doute ne s’est-il pas senti concerné, d’autant qu’il n’y a pas pour lui de « passage » des unes aux autres mais cohabitation permanente.
Le site Médiapart relève dans un article de Juillet 2023[2] : « Il est aussi à la tête de plusieurs sociétés de gestion et d’investissement immobiliers, et truste en parallèle toutes les présidences des organismes dont la Ville est partie prenante, comme Thau Habitat, Thau Agglo, la SPLBT citée précédemment, ou SA Elit (Société d’équipement du littoral de Thau, chargée des grands projets d’aménagement), avec qui il mène aussi des transactions d’ordre privé. En bref, l’homme est un adepte du mélange des genres et il délègue peu.
En 2021, la chambre régionale des comptes avait notamment pointé des risques de dérives et de conflits d’intérêts, ainsi qu’un manque de transparence dans les processus de recrutement. Comme lorsqu’il a embauché l’actuel directeur de SA Elit et de la SPLBT Christophe Clair, lui-même déjà condamné pour recel de favoritisme en 2011 alors qu’il était architecte ».
Comment faire la part des choses ?
La législation sur la transparence de la vie politique n’étant pas respectée ici, tous ceux qui ont voulu mettre le nez dans ces affaires ont été contraints de saisir la CADA[3], puis le tribunal administratif pour faire appliquer les décisions de la CADA. Même les élu·es sont confronté·es à cette difficulté. Ne parlons même pas des associations et collectifs comme Bancs Publics qui se ruinent en frais d’avocat pour faire simplement respecter la loi.
De ce fait, peu de délits ont pu être prouvés, ce qui laisse planer de sérieux doutes sur les conditions dans lesquelles la polyclinique Sainte Thérèse a pu s’étendre dans de telles proportions (le maire ayant été simultanément président du conseil d’administration de l’Hôpital public) ou sur les intérêts particuliers qui ont pu être obtenus des nombreux promoteurs qui ont construit et construisent encore à Sète.
Transparence difficile encore à faire du côté interne de la clinique car les éventuelles victimes de fautes médicales ou d’entorses au droit seraient d’autant moins en capacité de porter plainte et d’entamer des procédures que son PDG est le maire de la Ville.
Ainsi, c’est le magazine « Cash Investigation » sur France 2 qui a découvert et dénoncé en janvier 2022 , 812 hôpitaux et cliniques opérant des cancers sans autorisation de l’État sur la période 2016-2018. La polyclinique Sainte-Thérèse de Sète y est même citée comme « l’une des mauvaises élèves ». D’après « Cash Investigation », au moins 36 femmes ont été opérées en toute irrégularité de cancers gynécologiques entre 2016 et 2018. Le docteur François Commeinhes a refusé de répondre aux journalistes venus à Sète pour l’interviewer.
Deux condamnations
Malgré ces difficultés liées à la porosité entre les affaires publiques et intérêt privés[4], le maire est enfin condamné en 2021 après neuf ans de procédures, pour favoritisme dans le cadre d’attribution de marchés publics relatifs à des concessions de plage. Il s’était affranchi de tout appel d’offres pour en attribuer à son neveu en 2012 !
A partir de 2022, il est jugé pour avoir détourné sans justification 127 000 € en versement de primes à des cadres de la mairie. En 1ère instance, le tribunal de Montpellier décide le 12 décembre 2022 d’abandonner les charges retenues contre François Commeinhes « au bénéfice du doute ». En janvier 2023, le parquet de Montpellier décide de faire appel. Le 9 octobre 2023, la Cour d’appel rend un arrêt infirmant la relaxe prononcée en décembre 2022. Ce dernier est ainsi reconnu coupable de détournement de fonds publics. Il est condamné à cinq ans d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer la fonction de maire, à 15 000 euros d’amende et à un an de prison avec sursis. Les peines prononcées sont donc suspendues jusqu’à ce que le recours en cassation soit traité, ce qui devrait être fait d’ici la fin de l’année.
Ainsi, en 23 ans, l’affairiste François Commeinhes s’est constitué tout un empire sur le territoire, avec un dense réseaux d’influences dûment acheté (presse locale comprise) et une nébuleuse d’appuis politiques à géométrie variable qui, comme à Agde, commence à s’effriter sérieusement.
Pour empêcher qu’un autre clan d’arrivistes prenne la place à la mairie et la ville en otage d’ intérêts financiers privés dont on nous fait miroiter un ruissellement qui n’existe évidemment pas, il faut fédérer et promouvoir les aspirations citoyennes à maîtriser en commun le développement de la ville dans le respect de ses équilibres sociaux et environnementaux.
[1] https://archive.nossenateurs.fr/francois-commeinhes
[2] https://www.mediapart.fr/journal/france/290723/sete-le-maire-businessman-ses-copains-d-abord-et-la-betonisation-du-centre-ville
[3] CADA = Commission d’Accès aux Documents Administratifs, autorité administrative indépendante chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents administratifs
[4] Ce rapport entre les deux est fort bien résumé dans le slogan « Dettes publiques/ profits privés » qui dénonce l’utilisation des fonds publics pour les profits privés, alors que les dépenses collectives utiles comme l’éducation, la santé, la protection sociale, la justice… sont toujours davantage rognées