Filière équine : une guerre d’influence et des éleveurs pris en otage

Équidés au SIA 2025 - Photo - DR MG
Équidés au SIA 2025 - Photo - DR MG

En fonction des années, le SIA (Salon International de l’Agriculture) ressemble à une cathédrale Notre-Dame ou à une Bastille à prendre. Soit on y fait la messe, soit on y sonne la révolte. Mais ce millésime 2025 aurait eu, dit-on, du côté de la filière équine, des airs de conspiration.

Depuis plusieurs mois, un affrontement feutré mais déterminant pour l’avenir de la filière équine française, oppose différentes structures de sélection et d’organisation des concours. Derrière une bataille administrative se cache une question fondamentale : qui contrôlera la gestion des concours de sélection et le financement de la filière des équidés de travail ?

Entre pressions, tentatives de contournement et jeux d’influence, les éleveurs se retrouvent au centre d’un imbroglio qui menace à terme l’avenir de leurs élevages. Au cœur de cette crise :  la création de la Fédération des Équidés de Races Locales (FERL). En Occitanie, interpelée par des éleveurs, Nadia Belaouni, conseillère municipale d’Aimargues et conseillère communautaire de la Petite Camargue, avait adressé le 24 janvier 2025  un signalement à la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Nîmes. Elle exprime leurs inquiétudes concernant la création de la FERL, soupçonnée d’être à l’origine de recel de délits de favoritisme à travers la création d’une association transparente. Cette fédération, initiée par l’Institut Français du Cheval et de l’Équitation (IFCE) et le ministère de l’Agriculture, aurait pour objectif de reprendre en main la distribution des subventions, en contournant les règles établies par les acteurs de la filière.

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Un bouleversement forcé, la transition vers la SHF

Jusqu’ici, la gestion des concours et des aides était largement assurée par la Société Française des Équidés de Travail (SFET) via son logiciel Excellence, qui permettait d’enregistrer les animaux participant aux concours, de certifier leur parcours et de structurer la sélection génétique des races. Cependant, un blocage juridique lié à un article 40 déposé contre la SFET en septembre 2023 par l’IFCE et le MASA (ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire), dénonçant des irrégularités administratives, a conduit à un arrêt brutal des financements, et a laissé les éleveurs dans l’incertitude.

Face à cette situation de blocage, l’IFCE, organisme public sous tutelle du MASA,  proposerait, selon certains acteurs du secteur, cette nouvelle solution : le transfert des éleveurs et des OS (Organismes de Sélection) des chevaux de travail vers la SHF (Société Hippique Française), structure historiquement dédiée aux chevaux de sport.

Une réunion sous tension, des réponses évasives

Au SIA 2025, le 25 février, une réunion organisée par la SHF en présence de l’IFCE et de son Directeur de l’accompagnement à la filière équine, devait convaincre les OS d’adopter cette nouvelle chapelle. L’objet était d’expliquer comment il fallait désormais s’inscrire aux concours via la Société Hippique Française, en remplacement du logiciel Excellence utilisé jusqu’ici avec la SFET.

Mais plutôt qu’un plan structuré et rassurant, les éleveurs ont eu droit à un discours flou et commercial, sans réponse claire sur les implications financières. « Quand nous avons demandé combien cela allait nous coûter, la réponse a été : « rien ». Puis, on nous a expliqué que cela dépendrait du nombre d’OS inscrits, et qu’un seuil minimal de 26 OS était nécessaire pour un tarif préférentiel », témoigne un participant.

Les éleveurs ont également été surpris par l’intervention massive de l’IFCE, représenté notamment par Guillaume Blanc, qui a largement plaidé en faveur de la SHF. Et cette implication directe d’un organisme d’État dans la promotion d’une structure privée interroge.

Un financement en suspens et des concours menacés

Le cœur du problème réside dans le financement des concours. Jusqu’à récemment, l’IFCE reversait 80  % des frais d’organisation aux OS via la SFET. Or, avec l’article 40 qui bloque la SFET et l’échec de la FERL, structure censée la remplacer, ces aides sont aujourd’hui incertaines. « Nous sommes en mars et nous n’avons toujours pas reçu le remboursement de nos concours 2024, ni même de certains concours de 2023. Et pour 2025, rien n’est prévu » alerte un éleveur.

La SHF, censée reprendre le relais, n’a donné aucune garantie sur la prise en charge des frais d’organisation. Plusieurs éleveurs s’inquiètent du modèle économique de la SHF qui, selon eux, repose en grande partie sur des subventions publiques, et ils expriment leurs craintes sur les coûts pour les inscriptions aux concours, qui pourraient rendre la participation financièrement impossible pour les plus petits élevages.

Questions à Michel Guiot

Le président de la SHF, Michel Guiot, semble être au cœur de cette nouvelle dynamique de façon volontaire ou forcée, c’est ce qui semblerait intéressant à comprendre. Nous l’avons contacté, mais après lecture de notre demande d’interview sur sa boite vocale, c’est une responsable de son équipe qui rappelle. Elle indique que ce dernier est actuellement en rendez-vous, tout comme la directrice de la SHF. Elle propose néanmoins de transmettre la demande et de voir s’il sera disponible pour répondre, tout en précisant que la disponibilité du Président n’est pas garantie. C’est noté, et nous lui faisons part de nos interrogations. D’abord l’aspect politique : Michel Guiot est-il conscient d’être potentiellement l’instrument de la réorganisation des OS par l’IFCE ? Ensuite l’aspect technique : sa plateforme dédiée aux chevaux de sport, est-elle opérationnelle pour accueillir ces concours, et dans quelles conditions les OS peuvent réellement l’utiliser dès 2025 de façon opérationnelle ? Quel en sera le coût ?

Changement de planning ministériel

La réunion du vendredi 28 février 2025 organisée par la FERL au Salon International de l’Agriculture devait initialement inclure des représentants du MASA et de la DGPE, et de l’IFCE, mais ceux-ci ont annulé leur participation en raison d’un changement de planning ministériel. Chacun croira ce que bon lui semble. Il était question pour la FERL de faire adhérer les OS, de faire un point sur la situation de la filière équine et son blocage administratif et financier. Concernant cette Fédération et ses liens avec le MASA et l’IFCE, leur présence annoncée, leur absence constatée a renforcé les tensions et les doutes entre les acteurs de la filière.

Certains représentants d’OS interrogés s’inquiètent d’un rôle croissant de l’IFCE dans la gestion des concours et des aides publiques. Cette stratégie s’appuierait sur plusieurs leviers : éliminer la structure existante qu’est la SFET; la FERL étant bloquée pour le moment, ces représentants d’OS craignent une transition contrainte et transitoire vers la SHF, qui serait sous forte influence de l’IFCE.

Au salon, la SHF n’aurait pas su séduire ou convaincre des éleveurs qui faisaient confiance à la SFET, car son système était rodé, stable et transparent. La plateforme Excellence permet de faciliter l’inscription aux concours, d’assurer le suivi génétique et zootechnique des races et de garantir un classement fiable pour la vente et la valorisation des animaux. Pour l’heure, elle serait toujours perçue comme une structure indépendante, gérée par des éleveurs et sans ingérence directe de l’État ou de l’IFCE.

Le risque d’un effondrement de la filière

Si la situation n’évolue pas rapidement, les conséquences pourraient être dramatiques : une chute du nombre de concours entraînerait une perte de visibilité pour les éleveurs. Un effondrement des prix des chevaux et des ânes, faute de certification. Un renforcement de la dépendance financière des éleveurs, forcés de payer plus cher pour inscrire leurs bêtes. Certains évoquent même un retour à la situation de crise d’il y a 12 ans, quand l’absence de subventions et de reconnaissance des races avait mis en péril de nombreux élevages.

Que fait le ministère ?

Que fait le ministère ? Que se passe-t-il au bureau du Cheval ? Face à cette crise, le MASA semble pour l’instant jouer la montre, préférant ne pas prendre position officiellement. Reste que la nouvelle ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, lorsqu’elle était députée du Doubs, a défendu la race comtoise, qui est une race de chevaux de trait typique de sa région. Son arbitrage dans une situation héritée de Marc Fesneau pourrait s’avérer décisif.

En l’état, le blocage administratif et financier de la SFET a mis en péril les remboursements et l’organisation des concours. Les éleveurs sont poussés vers d’autres solutions comme la SHF, mais ces alternatives sont perçues comme moins adaptées et moins transparentes. À suivre…

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