Le projet d’incinérateur CSR (Combustible Solide de Récupération) à Montpellier inquiète beaucoup les riverains, comme de nombreux habitants de la métropole. « Une bombe sanitaire » pourrait s’installer à 3600 mètres de la place de la Comédie au 230, rue Raymond Recouly.
Il y a des mots qui ont la capacité d’endormir tout esprit critique. On les maquille ainsi : l’incinérateur devient « chaudière CSR ». En novlangue, cela donne : « une alternative innovante à l’enfouissement, grâce à la valorisation énergétique des déchets résiduels ».
Au 230, rue Raymond Recouly, la capacité de l’incinérateur ou de la chaudière sera de 45 000 tonnes de CSR* à bruler. Un décryptage en terme de santé s’imposait en cette fin mars 2025, avec trois intervenant·es : Catherine Ribot, François Vasquez et Charles Sultan.
Les incinérateurs dégagent des substances hautement toxiques
Charles Sultan, professeur en endocrinologie pédiatrique et spécialiste en santé environnementale, a ouvert le débat en rappelant l’ampleur des dégâts causés par les polluants issus de la combustion des déchets. À partir des dernières données sanitaires mondiales, notamment celles publiées par l’IPEN (International Pollutants Elimination Network), son constat est alarmant : « les incinérateurs dégagent des substances hautement toxiques », dont les perturbateurs endocriniens, les métaux lourds, les composés organiques volatils, ou encore les PFAS*, ces substances chimiques perfluorées qui résistent à la dégradation.
Avec Cathrine Ribot, professeur à la faculté de droit, la question d’un recours juridique sur la base du principe de précaution est posée, « il y a bien un danger pour la santé publique ». La piste évoquée est celle d’un recours fondé sur le principe de précaution. Mais surtout, une stratégie d’action citoyenne est esquissée pour enrayer ce qui est dénoncé « comme un engrenage industriel aux effets délétères. »
François Vasquez, c’est l’ex-vice-président de la métropole en charge de la gestion des déchets. L’homme est « black-listé ». Sous pression de la mairie socialiste, des limonadiers, cafetiers ou restaurateurs hésitent à ouvrir leur salle à ce lanceur d’alerte. D’ailleurs, dans l’annonce faite de cette conférence du 27 mars, son nom n’apparaissait même pas dans l’agenda des sorties du Gazette Café, histoire d’être certain que la conférence ait bien lieu.
Ce responsable politique explique que l’incinérateur de CSR, présenté comme une solution de « valorisation énergétique », « repose sur l’incinération de déchets triés. » Mais, contrairement aux discours qui promettent aussi la combustion de matériaux « propres » comme le bois ou le carton, « le Combustible Solide de Récupération contient jusqu’à 70% de plastique. » Pour François Vasquez, « cela accroît fortement les risques de pollution et de production de cendres toxiques, que les collectivités devront ensuite enfouir à leurs frais. » Car à la différence des cimentiers qui peuvent réutiliser les cendres dans leurs matériaux, les collectivités locales n’ont pas cette possibilité.
Santé, microparticules et effet cocktail
L’ex-vice-président de la métropole alerte également sur l’effet cocktail : « la pollution de cet incinérateur s’ajoutera à celle du doublement de l’autoroute et à l’incinération des boues de Lattes, dans un contexte déjà saturé en microparticules. » Il souligne l’inefficacité du dispositif que la majorité de Michaël Delafosse veut installer au 230 rue Raymond Recouly. « Cet incinérateur produira des cendres et mâchefers* toxiques, et accentuera la charge sanitaire et environnementale. » Et Charles Sultan d’ajouter : « les températures de combustion prévues (850 °C) sont bien inférieures aux 1 200 à 1 400 °C nécessaires pour détruire les PFAS, ce qui aggrave leur diffusion dans l’air. »
Sur le plan juridique, Catherine Ribot souligne les limites du droit français face à ces enjeux. « Les recours sont trop longs : il faut attendre la construction, puis l’apparition des maladies, puis une reconnaissance judiciaire qui peut prendre des décennies, comme le montre l’affaire du chlordécone*. »
La prise de conscience est croissante. Une proposition de loi n° 1082 veut instaurer un moratoire sur les nouveaux incinérateurs. Elle a été déposée le mardi 11 mars 2025 par le député LFI René Pilato, elle est co-signée par 70 élu·es dont les deux député·es de l’Hérault, Nathalie Oziol et Sylvain Carrière.
Capacité surdimensionnée et logique industrielle
Une critique récurrente porte sur la capacité prévue de l’incinérateur montpelliérain : 45 000 tonnes par an, soit exactement la même que celle de Béziers, alors que les deux agglomérations diffèrent largement en taille et en production de déchets. Loin de répondre aux besoins d’un territoire, ce chiffre de 45 000 tonnes correspondrait en fait à une « norme industrielle vendue en série par les lobbys du traitement des déchets », précise François Vasquez. « Arkema à Marseille prévoyait des incinérateurs de cette taille avant d’abandonner leur projet, jugé trop coûteux. » À Montpellier, ce sont les fonds publics qui seraient mobilisés, avec une délégation de service public (DSP) sur 20 ans, ce qui engage la collectivité dans des dépenses massives étalées et donc plus faciles à faire accepter aux élus.
Plus pervers, sur un même département, deux incinérateurs de 45 000 tonnes font sens dans une logique financière. L’anticipation des industriels est judicieuse, car une flambée des coûts pour l’incinération des déchets est envisagée d’ici 2028. En cause : une possible évolution du système européen des quotas carbone, aussi appelé SEQE (système d’échange de quotas d’émissions). Jusqu’ici, les usines d’incinération échappaient à ce dispositif. Depuis la révision en mai 2023 de la directive européenne sur le SEQE, une étude est en cours pour envisager leur intégration dans ce marché du carbone. Les conclusions sont attendues d’ici le 31 juillet 2026.
Les incinérateurs devront acheter des « droits à polluer »
Bon, concrètement, cela signifie que les incinérateurs pourraient être contraints d’acheter des « droits à polluer » pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Ce mécanisme est déjà en place pour les centrales électriques ou les industries lourdes. Du coup, l’impact serait loin d’être neutre pour les collectivités et les contribuables. Selon les premières estimations, le coût du traitement des déchets devrait augmenter de 30 à 40 % par tonne incinérée.
Et c’est là que le nombre de 45 000 tonnes est révélateur. Tous les incinérateurs ne seraient pas concernés : seuls ceux dont la capacité de combustion dépasse 20 mégawatts, ce qui équivaut à traiter environ 60 000 tonnes de déchets par an entreraient dans le champ de la directive. Mais voilà, une simple addition sur le département se passe de commentaires : Béziers 45 000, Montpellier 45 000 et donc Hérault 90 000.
Mais alors, que pourra faire une nouvelle majorité ?
Municipales 2026, c’est une question juridique centrale : que pourra faire une nouvelle majorité qui ne souhaite pas d’incinérateur de CSR en pleine ville, identifié comme étant polluant ? Qu’adviendra-t-il si le contrat avec l’industriel est signé avant 2026 ? La réponse est sans appel : tout dépendra des clauses de résiliation. Si le contrat prévoit des pénalités élevées en cas de rupture, la future majorité pourrait se retrouver les mains liées. Un enjeu que Catherine Ribot appelle « à surveiller de près. »
Un débat public largement confisqué
Retour sur la séance du conseil de métropole d’avril 2024, après le vote de l’affaire n°10 qui révélera plus tard si, avec cet incinérateur de CSR ,« la malédiction » d’Amétyst* se poursuit ou pas, René Revol qui a succédé à François Vasquez dans sa délégation, avait confié : « cette responsabilité qui me tombe dessus est lourde. » Juste analyse avec aujourd’hui une responsabilité d’informer avec précisions les métropolitains grâce à un large débat public. Mais, plutôt rassurant, le maire de Grabels avait lâché sur le plateau de France 3 Occitanie en Janvier dernier : « On fait le travail pour qu’il [l’incinérateur] soit possible, donc après les élections municipales de 2026, ceux qui seront en responsabilité choisiront. »
Pour l’heure, une vive opposition s’installe, une pétition invite les habitants à agir maintenant : « Non à l’incinérateur plastiques à Montpellier. » Pour le collectif « Montpellier sans CSR », l’urgence est d’échapper au piège économique et sanitaire que porte ce futur incinérateur du 230 rue Raymond Recouly.
*CSR, un Combustible Solide de Récupération. Définition ADEME : « Selon les termes de la norme NF-EN-15359, les combustibles solides de récupération sont des combustibles solides préparés (soit traités, homogénéisés et améliorés pour atteindre une qualité pouvant faire l’objet d’échanges commerciaux entre les producteurs et les utilisateurs) à partir de déchets non dangereux, utilisés pour la valorisation énergétique dans des usines d’incinération ou de co-incinération, et conformes aux exigences de classification et de spécification de l’EN-15359 ».
*Les PFAS : substances per- et polyfluoroalkylées qui sont une famille de composés chimiques utilisés depuis les années 1950 pour leurs propriétés antiadhésives, imperméables et résistantes à la chaleur. On les trouve dans de nombreux objets du quotidien : textiles, emballages alimentaires, poêles antiadhésives, cosmétiques ou encore mousses anti-incendie. Très stables, ces substances ne se dégradent quasiment pas dans la nature, ce qui leur vaut le surnom de « polluants éternels ».
*Mâchefer : un résidu de la combustion du charbon ou du coke dans les fours industriels ou bien de celle des déchets ménagers dans les unités d’incinération de déchets
*Chlordécone : pesticide toxique et dangereux pour la santé humaine qui a été utilisé dans les bananeraies de la Martinique et de la Guadeloupe de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier.
* Amétyst : usine de tri des biodéchets dont le bilan s’avère décevant par rapport à ses objectifs
