Passionnant débat sur la Sécurité Sociale Alimentaire (SSA) animé par Valérie Suire et Clément Calmette avec l’économiste et sociologue communiste Bernard Friot, organisée le 15 mai par le PCF de Sète.
Auteur du concept de « salaire à vie », ce vieux théoricien au regard et au langage pétillants de jeunesse a bousculé avec vigueur les partis du Nouveau Front Populaire en les invitant à renouer avec la conception subversive de la Sécurité sociale de 1946. Il a présenté ce que pourrait être une branche alimentation de la Sécurité sociale.
Il le dit et le martèle, « la Sécurité sociale n’est pas née en 1945, mais en 1946« , durant cette brève période pendant laquelle les communistes eurent quelques « strapontins au gouvernement » (ministères du Travail, de la Fonction publique, de l’Économie nationale et de l’Armement). En un an, cela leur a permis de révolutionner la Sécurité sociale. D’abord en l’unifiant dans un régime général (il y avait auparavant plus de 1000 caisses sectorielles !), en partageant la gestion avec les travailleurs, alors que seul le patronat avait la main, et surtout, en rompant le lien qui existe entre rémunérations (salaires dans la Fonction publique, prestations, allocations familiales et chômage, pensions de retraite…) et le travail (poste ou contrat). Cette subversion qui change radicalement le statut du travailleur s’est traduite dans le Statut de la Fonction publique, dans celui des Électriciens et Gaziers qui ont ensuite servi de modèles. « Il ne faut pas penser la Sécurité sociale en termes de consommation et de prestations, mais en termes de production et de salaire » affirme ce fin marxiste qui rappelle que la singularité du capitalisme, par rapport aux systèmes antérieurs de domination, réside dans l’aliénation au travail.
Libérer le travail de la subordination
C’est dans ces fondamentaux que Bernard Friot a construit la notion de salaire à vie. En permettant aux possédants, « patrimoniaux » comme il le précise, d’organiser la production, le capitalisme aliène le travail. C’est donc selon lui sur le travail davantage que sur les institutions qu’il faut reprendre le pouvoir. Il réfute l’idée répandue à gauche qu’on commence par prendre le pouvoir d’état puis que, étape par étape, on irait vers la sortie du capitalisme.
Il ne décolère pas contre son propre parti, mais aussi contre LFI ou les écologistes et même la CGT, de continuer de penser leurs propositions en conservant ce lien pourtant contesté en 1946. Pour lui, le salaire doit être un « attribut attaché à la personne » (comme c’était le cas dans le statut de la Fonction publique) et non au travail. Il conteste la notion de salaire différé ou de solidarité intergénérationnelle et prône un revenu moyen de 2 600 € qui libère tout·e travailleur·se de la subordination.
« Jamais il y a eu autant de gens qui refusent de travailler dans le cadre capitaliste ». Bernard Friot propose de porter le fer dans le cœur d’un système qui aboutit à que la majorité « des gens souffrent au travail », en perdent tout sens, même dans la fonction publique dont les principes de base sont reniés un par un, rongé par une technocratie comptable et des « chefaillons qui pullulent ». Toutes et tous se consolent en se pensant « méritants » alors qu’il y a une mutation culturelle à opérer pour sortir de cette représentation. « On est d’autant plus fier de gagner sa vie par son travail que l’on n’est pas fier du tout, du travail que l’on fait ».
D’ailleurs, malgré toutes les remises en cause de ce que Friot nomme « les conquis communistes », voir leur quasi disparition comme à EDF, à la SNCF, à la RATP et bientôt à France télévision, aujourd’hui 17 millions de plus de 18 ans ont un salaire qui est un droit de leur personne « que ni l’État ni le marché ne peut leur piquer ».
« Nous passerons à 100%, » annonce-t-il. « C’est un des objectifs de la Sécurité sociale de l’alimentation pour que tous les plus de 18 ans aient un salaire lié à leur personne et non pas à leur performance sur un marché qu’il soit celui du travail productif ou des biens et services commerciaux. »
[VIDEO] Bernard Friot, Sociologue et économiste français :
Une sécurité sociale pour payer des producteurs, pas pour solvabiliser des consommateurs
C’est dans ce cadre de pensée que s’inscrit la Sécurité sociale alimentaire. Elle ne devrait pas consister à solvabiliser les consommateurs et à labelliser des produits comme cela se fait dans certaines expérimentations, mais plutôt à salarier les producteurs pour offrir une alimentation de qualité échappant aux lois du marché et de la grande distribution.
« C’est une erreur fondamentale de partir de la consommation ». D’ailleurs, à la question provocatrice posée par l’animateur du débat, Clément Calmette « mais la sécu, ça ne sert pas à rembourser les médicaments ? », Bernard Friot a démontré toute la dérive d’un système de protection sociale qui a permis de doter le pays de structures de soins efficientes en prenant en charge les investissements et les salaires, avec un système de remboursement lié à une entreprise pharmaceutique à l’époque nationale (Rhône Poulenc), mais qui est devenue à présent « la vache à lait de groupes capitalistes ».
Le chantage à l’emploi et à la dette
Bernard Friot constate que déjà, aucun agriculteur ne gagne réellement sa vie par « son travail », l’agriculture étant largement subventionnée par la PAC. D’autre part que l’âge moyen des agriculteur•trices est de 57 ans. D’après lui et le réseau salariat qu’il anime, il faudrait installer très vite 1 million de paysan•nes. Pour parvenir à cet objectif, il faut sortir le foncier du marché, subventionner l’investissement comme cela a été fait dans le domaine de la santé dans les années 60, et sortir les travailleurs du chantage à l’emploi et à la dette.
Au bout de la chaine, assurer la Sécurité sociale alimentaire pour toutes et tous, c’est aussi mieux utiliser les outils existants. Il cite l’exemple des communes qui se débarrassent de la Sodexo et produisent les dizaines de milliers de repas par jour offrant la restauration au-delà donc des cantines scolaires. Ou encore le comité d’entreprise d’EDF qui envisage d’utiliser à plein les cuisines de ses centres de vacances en dehors des périodes de vacances au bénéfice des populations des territoires sur lesquels ils sont implantés.
Tout cet écosystème entièrement repensé, qui part de la production jusqu’aux bénéficiaires d’un droit inaliénable lié à la personne permettrait « de sortir de la marge toute l’effervescence communiste qui existe dans la société » et se manifeste prioritairement par le nombre croissant de celles et ceux qui tentent d’échapper à l’aliénation d’un travail soumis à la logique capitaliste de création de profit, d’accumulation qui pousse à produire n’importe quoi, n’importe où et n’importe comment, au prix d’immenses gâchis et destructions.
