Poussan : en réponse à une tentative d’enfumage, la salle impose un débat de fond

Concertation Viaduc de Poussan réunion publique - Photo - JP Vallespir
Concertation Viaduc de Poussan réunion publique - Photo - JP Vallespir

Il y avait foule jeudi 7 au Foyer des campagnes à Poussan… mais pas du tout pour participer à la « concertation » telle qu’elle était présentée par l’organisateur SNCF Réseau; plutôt pour remettre en cause l’objet même de cette concertation :  la ligne à très grande vitesse Montpellier-Perpignan et particulièrement le viaduc de Poussan (de 30 m de hauteur sur 1,4 km). Toutes les nuances d’opposition étaient présentes dans la salle. 

On ne sait trop dans quelle catégorie classer les « officiel·les », ces élu·es du territoire, otages de l’approbation globale qu’iels auraient accordée au projet et à la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) prise en février 2023, mais dont iels dénoncent aujourd’hui les dangers et le coût.

« Nous votons contre. Contre une politique d’achat du foncier que nous trouvons scandaleuse. » Florence Sanchez

Ainsi, en introduction, Florence Sanchez, maire de Poussan, a-t-elle énuméré au nom de son conseil municipal les raisons de son opposition radicale : « nous votons contre. Contre une politique d’achat du foncier que nous trouvons scandaleuse et qui ouvre la  porte à la spéculation au détriment du secteur agricole » ; « Contre ce projet qui ne répond pas à la demande croissante de mobilité, ne permet pas de créer un doublé de lignes voyageurs et fret, et ne tient pas compte du changement climatique ». Elle aborde ensuite le coût : « Le projet complet, c’est 6 milliards. À l’heure où l’État cherche des pistes pour trouver 60 milliards d’euros d’économie, où il parle d’augmentation d’impôts, de supprimer 100 000 postes de fonctionnaires, où il demande aux collectivités territoriales un plan d’économie de 5,8 milliards d’euros, où nous nous attendons à des coupes drastiques sur nos dotations, je pense sincèrement que ce type de projet devrait tout simplement être abandonné. »

Plus modéré, Jean-Guy Majourel, vice Président d’Agglo de Sète, n’a pas contesté la nécessité de cette ligne inscrite en 1992 au schéma des Lignes à Grande Vitesse, « dernier maillon manquant entre l’Espagne et le Nord de l’Europe », ni son utilité pour les agglomérations régionales auxquelles il assure la solidarité de l’Agglo. Il regrette que des tracés plus proches de l’autoroute n’aient pas été retenus et s’incline : « respectueux des lois, les élus ne peuvent que respecter la DUP ». Dès lors, il s’agit désormais selon lui « d’en amoindrir les contraintes ». Mais la longueur de leur liste laisse mesurer en creux  la gravité des risques : limiter la vitesse sur le viaduc, maintenir la desserte de la gare de Sète, sinon en TGV, au moins « avec des TER directs pour la Gare Montpellier Sud de France », s’assurer de la préservation de la source d’Issanka qui fournit 50% de l’alimentation en eau de la ville de Sète, obtenir une augmentation de l’enveloppe prévue actuellement à 0,4%  du montant des travaux pour des « projets d’accompagnement territoriaux » (dont on ne saura rien), garantir la qualité esthétique et architecturale de l’ouvrage… etc.  On ne voit pas bien en quoi ces timides revendications compenseront les 278 hectares d’espaces agricoles et naturels perdus dans le projet ni l’impact visuel sur le paysage du Bassin de Thau et sonore pour les populations riveraines.

Quand la parole fut enfin donnée à la salle, ce fut une avalanche de critiques dans une ambiance électrique. Au nom du collectif ALT (Alerte LGV Thau), Félix Caron a dénoncé la « manœuvre assez grossière d’enfumage », le  coût exorbitant du projet, son impact sur l’écologie et la biodiversité. Il a exhorté les élu·es « à saisir le gouvernement pour revenir à l’examen des scénarios de 2009 ».

Remonté contre « mesdames et messieurs les technocrates de la SNCF » , le représentant du très officiel Conseil de Développement de l’Archipel de Thau a lui aussi  contesté le tracé retenu et posé la question : « De qui se moque-t-on avec cette concertation envisagée qui n’est que de l’enfumage ? ». Il promet « Continuons comme ça et la contestation prendra de l’ampleur » et conclut solennellement : « Le Codev ne participera pas à votre prochain atelier de coloriage ».

« La grande vitesse, on s’en fout. La planète va mal à cause de ce système de merde ».

Relayant les positions de la Coopérative Intégrale du Bassin de Thau dont le tract circulait dans les travées, Matthieu constate : « on nous demande de participer nous-même à la destruction de notre environnement » et rappelle que même si la Déclaration d’Utilité Publique a été prise, « l’État a déjà été contraint par le passé à renoncer à de grands projets plus avancés ». Il conclut en affirmant que c’est le principe même de la LGV qui est en cause. « La grande vitesse, on s’en fout. La planète va mal à cause de ce système de merde. On ne veut pas entrer dans ces logiques de développement ».

Ce thème d’un modèle de développement anachronique et destructeur du vivant est repris majoritairement  dans la salle. « Il faut revoir les bases sur lesquelles le projet a été construit »; « C’est un projet du siècle dernier » ; « On nous bassine avec le déficit public. L’hôpital se casse la gueule, la Sécurité sociale aussi… Il n’y a pas d’autres  priorités que de couler du béton ? », « La SNCF nous vend le fret avec sa LGV, mais dans la réalité, elle brade ce secteur d’activité ». « Il faut remettre l’humain au centre » plaide le représentant de Greenpeace.

L’annonce d’un tunnel « à l’entrée de la Gardiole » fait rugir la salle.

Les réponses laborieuses apportées par Stéphane Lubrano, directeur de la Mission LNMP ne parviennent pas à convaincre : ni sur le fait que l’impact environnemental d’un viaduc serait moindre qu’une voie sur remblais ni sur la faisabilité d’une ligne mixte voyageurs/fret uniquement sur le tronçon Montpellier-Bézier, ni sur le souci affiché de préserver la source d’Issanka… L’annonce d’un tunnel « à l’entrée de la Gardiole » fait rugir la salle. Puis, rappelant le Label Haute Qualité Environnementale imposé à la construction et le lancement d’un concours d’architecte à l’échelle internationale pour la conception du viaduc, ces réponses qui se voulaient rassurantes ont davantage provoqué l’hilarité, montrant que nul n’était dupe de l’opération d’hypnose que cette concertation ultra technocratisée avait pour tâche de mener.

Accessoirement, invité·es à candidater pour participer à un « comité citoyen » composé de 40 personnes, on comprend en lisant bien les inévitables « slides » que seuls 15 postes sont à pourvoir(et on ne sait comment ils le seront d’ailleurs), car 25 sont déjà désignés. On apprend aussi au  passage que ce « comité citoyen »  tiendra trois réunions pour émettre des « préconisations » et qu’une concertation numérique, réduite elle aussi au seul viaduc, sera ouverte la semaine prochaine et pour deux mois seulement… À vos claviers !

La tentative d’animation directe autour de beaux panneaux avec foison de jolis post-it de couleur s’est soldée par une désertion massive des participant·es, non sans avoir préalablement recouvert  lesdits panneaux destinés à recevoir les avis formels et esthétiques, de slogans anti-viaduc et anti-LGV.

Une chose est sûre : la bataille rassemble largement et entre dans une phase frontale, posant l’enjeu de la réappropriation du territoire par celleux qui y vivent et y travaillent. Alors, est-ce une zone de passage express conçu au profit des grands groupes du BTP ou un territoire à vivre ? 

Et si on veut vraiment inciter les gens à préférer le train à la voiture comme le prétend la SNCF, il faudrait commencer par rendre ce dernier accessible,  géographiquement, localement, et incitatif au niveau des tarifs… Les animateurs et animatrices de la concertation étaient bien à la peine pour répondre à toutes ces questions qui intéressent davantage le public que la couleur des piliers d’un viaduc dont personne ne veut.

[VIDEO] Intervention de Florence Sanchez, maire de Poussan :

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