Dépôt d’une nouvelle plainte pénale, utilisation d’une procédure environnementale innovante et rendez-vous avec le nouveau Président de Sète Agglopôle Méditerrannée : les trois principales vigies de l’environnement sur le territoire que sont Bancs Publics, le Comité des usagers de l’Eau du bassin de Thau et la Prud’homie des pêcheurs de l’étang de Thau et d’Ingril, toutes opposées à la réalisation du parking Aristide Briand à Sète, frappent un grand coup pour faire cesser ce qu’elles nomment « l’hérésie environnementale ». Ces trois collectifs se sont expliqués avec leur avocat devant la presse ce mercredi 4 juin.
Lundi 2 juin, une plainte devant le Procureur de la République de Montpellier a été déposée contre NGE Guintoli, la Societé Publique Locale du Bassin de Thau (SPLBT) et son directeur, la Mairie de Sète et Sète Agglopôle Mediterranée et François Commeinhes, du chef de faux, usage de faux, d’escroquerie, de recel de faux. Aux termes de la plainte, il est demandé aussi, outre l’ouverture d’une enquête, la saisine du Juge de la Liberté dans le cadre d’un référé pénal environnemental afin d’obtenir la suspension immédiate des travaux.
[VIDEO] Interview maître Stéphane Fernandez, avocat au Barreau de Montpellier :
Urgence pour l’eau et l’écosystème
« Nous humains, nous n’avons que le Droit pour défendre la Nature, mais elle, la nature, elle sait prendre sa place ». Ainsi Christophe Lalia fait-il allusion à cette nappe phréatique vengeresse qui n’a pas apprécié d’être contrainte pas des tonnes de béton et qui ne cesse de remonter au point que 200 000 m 3 d’eau doivent être pompés cette année sur le chantier en cours. Ces données, inconnues il y a encore 15 mois, ont été actées le 24 mars dernier par huissier et un expert hydrogéologue qui ont pu se rendre sur le chantier par ordonnance de la présidente du tribunal judiciaire de Montpellier, après une première tentative infructueuse. Non seulement ils ont recueilli des éléments factuels qui corroborent tous les constats effectués, quasiment clandestinement et à leurs frais par les citoyen·nes de Bancs Publics et du comité des usagers de l’eau, mais ils ont constaté une série d’anomalies dans la tenue des registres imposés par la loi pour suivre les pompages quotidiens ou de fausses déclarations en préfecture. C’est pourquoi la plainte déposée lundi l’est pour la première fois aussi contre la société NGE Guintoli qui n’était pas dans la plainte précédente déposée par 160 citoyen·nes qui fera l’objet d’une citation directe au tribunal correctionnel de Montpellier le 16 juin prochain.
Il faudra dix ans pour retrouver un cycle naturel de l’eau au pied du Mont Saint Clair
« Si l’étude environnementale préalable » dont les désordres du cycle de l’eau auxquels on assiste depuis plusieurs mois prouvent qu’elle s’imposait, « avait été menée avant les travaux, nous n’en serions pas là ». Ce « là », c’est une situation extrêmement dramatique pour tout notre écosystème. C’est sur la base d’un rapport de la société Antea Group sous-estimant la durée et la quantité du pompage à réaliser que le projet a bénéficié d’une dérogation du préfet l’exemptant de cette indispensable étude préalable. Henri Loison, président du comité des usagers de l’Eau du Bassin de Thau, le déplore et alerte des conséquences qui s’annoncent : « on assiste à un phénomène de salinisation des nappes phréatiques irréversible. Elle est passée de novembre 2024 à mars 2025 de 3 grammes de sel par litre à 23 grammes. De plus, cette eau s’écoule ensuite pour partie dans le réseau des eaux usées qui n’est pas conçu pour recevoir des eaux salées. Ce type de rejet doit en outre faire l’objet d’une demande de dérogation qui ne semble pas avoir été faite. Les stations d’épuration ne sont pas conçues pour ça ». Ce taux de salinité des eaux sous la défunte place pollue tous les puits environnants, tous les champs captant de l’eau douce qui vient de la colline de Saint Clair. « Et avec un tel taux, les arbres ne peuvent pas vivre ».
Pire encore, pour la Prud’homie, gardien historique de l’environnement, c’est tout l’écosystème de l’étang de Thau qui est en danger, car l’eau douce apporte les nutriments nécessaires à la pêche et à la conchyliculture. En l’état actuel, même avec des mesures de réparation visant à désimperméabiliser la place, il faudrait au moins 10 ans pour retrouver un cycle naturel de l’eau. Le rapport de l’expert hydrogéologie évoque aussi les risques de formation de fontis (cavités souterraines) tels que ceux qui ont provoqué les effondrements de la rue d’Aubagne à Marseille, qui peuvent se présenter au-delà du périmètre de la place.
« Le pot de terre contre le pot de fer »
Malgré l’étendue des problématiques écologiques posées par ce chantier, l’avocat des trois collectifs, maître Stéphane Fernandez, détaille les motifs de la plainte et précise que ce référé se limite à ce qui relève strictement du droit de l’Eau et pour une période donnée. Il ne cache pas la difficulté de cette nouvelle bataille dans la guerre juridique menée contre les responsables de ce projet écocide, mais le jeu en vaut la chandelle. Il s’agit d’arrêter le massacre. « En face, ils ont des budgets illimités qu’ils font payer aux contribuables grâce à leur « protection fonctionnelle » » quand les collectifs ne peuvent compter que sur la générosité citoyenne. Et comme pour tous les grands projets écocides, il s’avère que l’administration se plie trop souvent aux injonctions politiques et que la justice est toujours très en retard sur la réalité de leur réalisation, le meilleur exemple étant celui de l’A69 où même quand la justice suspend le chantier, ce sont des manœuvres parlementaires qui tentent de contourner le droit. Pourtant, la loi offre de nouveaux moyens de défendre l’environnement, dispositions trop récentes pour fournir une jurisprudence qui porterait à l’optimisme puisque seules 4 procédures ont été lancées sur la base de ce nouvel article L216 13 du code de l’environnement. N’empêche ! Henri Loison cite l’exemple du Bassin d’Arcachon qui pour des motifs similaires a abouti à de fortes condamnations. N’empêche, l’avocat rappelle les rapports de la Cour des comptes qui démontrent l’hérésie financière de ce projet, les prises illégales d’intérêt manifestes et le contexte juridique chargé qui a conduit à plusieurs condamnations du maire démissionnaire « on est dans un contexte extrêmement particulier»
Loïc Linarès nouveau président de l’agglo pourrait tout bloquer
Ultime recours encore : la rencontre avec le nouveau président de Sète Agglo Méditerrannée, Loïc Linares, programmée pour le 13 juin. « Il faut que l’agglomération et la nouvelle équipe stoppent les frais », déclare Christophe Lalia qui demandera d’urgence un audit financier de la SPLBT, maîtrise d’ouvrage de l’opération. « Comment peut-on accepter que d’autres communes de l’agglomération continuent à payer pour la ville de Sète un parking dans lequel elle-même est en train de se noyer ? ». Selon les trois collectifs, l’agglomération a les moyens, via la société SPLBT qu’elle dirige et finance, de tout bloquer.
[VIDEO] Interview Christophe Lalia, Président Collectif Bancs Publics :
Depuis le début de cette longue lutte, Christophe Lalia et Christophe Aucagne, qui animent le collectif fort de plusieurs centaines d’adhérent·es, aiment à dire qu’ils sont « des utopistes qui ont les pieds sur terre ». C’est ce qui leur a permis de tenir contre tous les coups tordus et de se donner les moyens de réagir, de rassembler, d’imaginer les contre-feux, toujours dans la non-violence et le respect des lois. Déterminé à changer le cours « commercial et irresponsable » de la gestion publique de ce dossier, Bancs Publics voit loin. D’abord, il a fait chiffrer le coût du remblaiement du trou de la honte (entre 1 et 1,5 million d’Euros) soit bien moins cher que de poursuivre un ouvrage dont on ne connaît pas le coût final, mais dont on sait d’ores et déjà qu’il n’est pas viable, qu’il nécessitera le pompage permanent de 200 000 m3 d’eau par an et surtout, qu’il rendra la ville encore plus irrespirable : plus de voitures, moins de verdure.
Le collectif y voit aussi une belle opportunité :« ça peut être une aubaine cette histoire, une formidable aubaine que les citoyennes et les citoyens puissent se réapproprier cet espace public. Contrairement à ce qui est envisagé et qui est en train de se casser la gueule comme vous le voyez, l’eau qui resurgit de toutes parts et puis les procès qui vont s’accumuler sur ces sociétés et tous les responsables, c’est que contrairement à ce projet commercial, il y a un projet de se réapproprier la place ». Bancs Publics va lancer une grande concertation citoyenne pour inviter les Sétois et les Sétoises de tout âge à réinventer le cœur battant de leur ville.
