Olivier Faure, itinéraire d’un homme d’appareil

Olivier Faure itinéraire d'un homme d'appareil - Photo - LAB_ PLURIELLE INFO
Olivier Faure itinéraire d'un homme d'appareil - Photo - LAB_ PLURIELLE INFO

Il faut reconnaître une chose à Olivier Faure, c’est qu’il n’est pas donné à tout le monde de gagner quatre congrès du PS d’affilée, il est même pour l’instant le seul à avoir réussi cet exploit avec François Hollande. Le congrès du parti qui s’achève n’aura sans doute qu’une influence réduite sur la politique française, le phénomène éclaire tout de même l’Histoire politique récente.

Le personnage a fait son entrée dans la politique nationale en 2012, comme député. Son parcours est beaucoup moins aristocratique que celui des gens que l’on appelait alors les « éléphants du PS » (Hollande, Fabius, Strauss-Khan, Royal…) : diplômé en droit et science politique, il s’est très tôt engagé au sein du Mouvement des Jeunes socialistes puis, après avoir travaillé quelques années comme cadre dans une petite entreprise, il est devenu un professionnel de la politique, collaborateur de différents élus PS. Pour le dire autrement, c’est un homme d’appareil, pas un haut fonctionnaire, ce qui explique certaines choses sur son parcours et ses qualités : sa loyauté va au PS plus qu’aux dogmes économiques enseignés à l’ENA et HEC, il a l’habitude de concevoir la politique comme un combat dans lequel il faut maintenir une organisation unie et a peu de ressources hors de celles de son parti. Politiquement, il a toujours été situé dans l’aile droite du PS : dès sa jeunesse, il est rocardien.

2012, grand chelem pour le parti socialiste

Le PS de 2012 où il devient député est le parti le plus puissant de France. Profitant de l’impopularité de Jacques Chirac puis de celle de Nicolas Sarkozy, le PS a largement gagné les élections municipales, cantonales (l’ancêtre des départementales) et régionales puis, par conséquent, les élections sénatoriales. C’était la première fois et à ce jour la dernière qu’un parti se revendiquant de gauche devenait majoritaire au Sénat !

Le parti était alors dirigé par un groupe de notables politiques rivaux entre eux, mais partageant une ligne proche, que l’on appelait les « rocardo-deloristes » (du nom de l’ancien premier ministre Michel Rocard et de l’ancien ministre de l’Économie Jacques Delors) : ce qui les unissait était l’idée que l’État devait intervenir moins directement dans l’économie en se concentrant sur la réglementation et en laissant la place aux négociations entre salariés et employeurs, qu’il devait réduire ses dépenses parce que cela permettrait de diminuer l’endettement public et enfin, que les politiques de redistribution, de protection de l’environnement, des salariés et des consommateurs devaient être transférées à l’échelon de l’Union européenne. Cette ligne très à droite pour une organisation qui se revendiquait comme anticapitaliste et autogestionnaire quelques décennies plus tôt était portée principalement par des politiciens issus de la haute fonction publique, avec des nuances entre eux.

François Hollande s’était maintenu à la tête de l’organisation pendant dix ans en laissant chacun de ses notables exprimer au grand jour ses ambitions et ses différends avec les autres, ce qui aboutit finalement à l’échec de sa candidate Ségolène Royal en 2007 ; sa successeure Martine Aubry, elle, avait en revanche travaillé à doter le PS d’un programme commun et d’un processus de désignation du candidat, la première primaire ouverte en France, ironie du sort, c’est François Hollande qui a récolté les fruits de son travail après avoir gagné la primaire contre elle. La France faisait alors l’objet d’une vague de contestation du néolibéralisme après la crise économique de 2008 et la destruction des services publics opérée par Nicolas Sarkozy : quelques positionnements à gauche minimaux, notamment le refus du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance, lui ont suffi à remporter l’élection présidentielle, unissant une majorité qui comprenait à la fois une mobilisation des classes populaires urbaines et une grande partie des classes moyennes et supérieures, surtout plus jeunes et plus diplômées.

Victimes d’une escroquerie

À peine les élections législatives étaient-elles passées que les électeurs du PS ont appris qu’ils avaient été victimes d’une escroquerie : François Hollande a aussitôt accepté le TSCG. À l’exception de l’ouverture du contrat de mariage aux couples homosexuels et d’une réforme contre le cumul des mandats (ce qui a en fait eu pour effet de renforcer encore le poids du Président de la République dans le cadre de la Vème République, les parlementaires devenant plus dépendants de lui), tout le reste de sa politique a ressemblé à celle de Nicolas Sarkozy : destruction des moyens des services publics, transfert d’énormes sommes d’argent public aux capitalistes sans contrepartie obligatoire, pouvoir répressif de l’État qui s’accroît hors des contrôles judiciaires soi-disant pour lutter contre le terrorisme, mais en fait pour lutter contre les opposants politiques, pour finir par la casse du droit du travail qu’était la loi El-Khomri et la répression violente des manifestations contre celle-ci.

Tout au long de ce mandat de François Hollande, Olivier Faure a soutenu celui-ci et ses gouvernements successifs dirigés par Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls puis Bernard Cazeneuve. Il y avait bien sûr une opposition interne au PS, avec ce qui restait de cadres de son aile gauche (Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel), des rocardiens modérés comme Benoît Hamon ou l’inénarrable Arnaud Montebourg qui a toujours associé déclarations fracassantes et ligne politique flottante. Olivier Faure n’en était pas. Il a été récompensé de sa fidélité en devenant président du groupe parlementaire PS à l’Assemblée nationale.

L’effondrement

Bien sûr, l’énormité de la contradiction entre ce pourquoi le PS avait été élu et ce qu’il faisait ne pouvait pas le laisser intact : il s’est effondré comme un château de cartes aux élections intermédiaires, pour finir par la candidature de Benoît Hamon à la présidentielle 2017 qui a divisé par trois le score de François Hollande. Sa majorité électorale a explosé : les classes populaires de gauche et la partie la plus jeune et la moins favorisée des classes moyennes sont passées soit à l’abstention soit au vote pour la France Insoumise, tandis que la partie la plus aisée, mal à l’aise avec l’idée des troubles que pourrait engendrer une sortie des politiques austéritaires européennes, a soutenu l’ancien ministre de l’Économie de François Hollande, lancé dans une aventure hors du PS avec le soutien du maire de Lyon Gérard Collomb : Emmanuel Macron, qui a réussi à récupérer une grande partie de l’électorat de droite classique.

Après cette catastrophe, les dirigeants du PS qui avaient heurté l’iceberg ont été nombreux à le quitter ou à se désintéresser de sa direction : Manuel Valls, Jean-Christophe Cambadélis, Bernard Cazeneuve, Ségolène Royal, Laurent Fabius, Julien Dray, Benoît Hamon, Arnaud Montebourg… Tous ceux-là sont partis dans des aventures personnelles dont la médiatisation était inversement proportionnelle à l’engouement qu’ils suscitaient. La direction du PS a donc échu à un homme qui n’avait pas de ressources pour réussir en dehors de lui et qui avait de bonnes raisons de rester attaché à un parti auquel il devait l’essentiel de sa carrière et de son engagement : Olivier Faure, qui a remporté le congrès suivant contre le chef de ce qu’il restait de l’aile gauche, Emmanuel Maurel (qui prendra à son tour le large en 2019).

Une ligne politique introuvable

Dans ce PS coincé entre LREM du Président Macron et la France Insoumise, Faure se retrouve sur une ligne politique introuvable, refusant de se définir comme dans l’opposition à Macron au cours des premières années de celui-ci, mais devant néanmoins garder une certaine distance pour ne pas disparaître. Les élections intermédiaires lui permettent toutefois de stabiliser sa situation : la FI enchaîne alors les contre-performances tandis que la popularité de Macron décroît. La liste PS aux Européennes 2019 est conduite par un essayiste néoconservateur extérieur au parti, connu pour avoir travaillé avec le président géorgien Mikhaïl Saakachvili, lequel a fini en prison pour de très bonnes raisons : Raphaël Glucksmann. Cette liste parvient à faire un peu mieux que le score de Benoît Hamon à la présidentielle et plus tard, le PS conserve même ses régions aux élections locales, tout comme LR.

Dans cette situation ambiguë, mais marquée par d’énormes tensions, le PS fait un choix : tout plutôt que risquer d’être assimilé à la France Insoumise. Cela va si loin qu’Olivier Faure, à un rassemblement organisé par des syndicats policiers (sans VIGI, alors marqué à gauche) dans un contexte de contestation croissante des violences policières suite au mouvement des Gilets Jaunes, proclame que la police doit avoir un contrôle sur les peines décidées par la Justice autrement dit, une force de répression sans limite. Il rétropédale plus tard, mais l’incident est symptomatique de la volonté du PS de paraître le plus à droite possible en ces temps de chasse à l’islamo-gauchisme.

Après le cataclysme, la volte-face de la Nupes

Pour l’élection présidentielle de 2022, plutôt que de se rapprocher d’EELV de Yannick Jadot avec lequel il partage pourtant presque tout sauf l’Histoire, il choisit de s’en remettre à l’une des personnalités qui permettent au PS de tenir bon à l’échelle locale sur des territoires très bourgeois : la maire de Paris, Anne Hidalgo, désignée candidate lors d’un congrès solidement cadenassé. Celle-ci avait pourtant peu d’intérêt pour le PS : elle ne prend même pas la peine de se rendre au congrès qui la désigne candidate. Sa campagne sans ligne politique distincte de celle du camp macroniste, avec pour axe saillant l’idée d’accélérer l’escalade avec la Russie, se solde par un cataclysme : 1,74% des voix.

C’est là qu’Olivier Faure montre son talent : lui comprend aussitôt que pour survivre, le PS n’a d’autre choix que la volte-face. Non seulement il accepte l’accord proposé de mauvaise grâce par la France Insoumise (la fameuse NUPES) pour tenter de défaire Macron aux Législatives 2022, mais il le fait en s’y investissant : le voilà qui, soudain, se met à aller affronter les accusations d’anarchisme et d’islamo-gauchisme sur les plateaux télévisés ! Il faut dire que cela en valait la peine : le PS sauve ainsi un important groupe parlementaire, même s’il est désormais largement dépassé par celui de la France Insoumise. Avec elle, il accepte de se lancer, bien que tièdement, dans la bataille contre la réforme des retraites. Cela entraîne une nouvelle contestation interne : l’anti-NUPES Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen, manque de remporter le congrès de 2023.

Retour à une ligne droitière

Toutefois, lorsque s’éloigne la perspective d’une liste NUPES aux élections européennes, Les Écologistes ayant choisi de la briser pour partir seuls alors même que la FI leur proposait la tête de liste, Faure s’empresse de revenir à sa ligne droitière : avec la popularité acquise par Raphaël Glucksmann auprès des classes moyennes et supérieures qui se détachent de Macron, il estime avoir de solides chances de succès, et tant pis, ou tant mieux, si tout le monde voit très bien que Raphaël

Glucksmann est de droite, tant pis même s’il faut sacrifier trois places éligibles au petit parti de celui-ci. C’est effectivement un succès : la liste du PS reprend le score fait par celle d’EELV la fois précédente, en dépit d’une progression inédite de la FI.
Faure est néanmoins suffisamment intelligent pour comprendre que le contexte des élections européennes est très particulier en termes de mobilisation électorale et que le PS ne peut réussir en solitaire dans un scrutin uninominal à deux tours, où il importe de rassembler suffisamment au premier pour être présent au second : lorsque Macron dissout l’Assemblée nationale à la suite des élections européennes, à l’instar de Les Écologistes (ex-EELV) et du PCF, il revient brusquement sur ses positions anti-NUPES pour accepter une nouvelle alliance avec la FI, le Nouveau Front Populaire (NFP) ; il a d’autant plus de raisons de le faire que le score du PS aux Européennes le met en position d’exiger un programme moins à gauche et plus de députés pour lui. De nouveau, Faure retourne se faire traiter d’extrémiste de gauche sur les plateaux télé, pour le bien du groupe parlementaire de son organisation.

L’enterrement du Nouveau Front Populaire

Chose inattendue : le NFP remporte les élections Législatives 2024, arrachant une majorité relative, ce qui place pour la première fois depuis 2012 à l’échelle nationale le PS dans la position de décider s’il va tenir ses promesses ou non. Très vite, il essaie de s’en dégager en proposant comme Première ministre Laurence Tubiana, soutien de Macron qui a pris position publiquement contre certains points du programme du NFP ; la FI, bien sûr, refuse. Un consensus sera finalement trouvé sur une inconnue du grand public, la haute fonctionnaire Lucie Castets, engagée dans un collectif de défense des services publics. Faure accepte de la défendre.

Enfin, jusqu’à un certain point. Le PS accepte de voter avec le reste du NFP la censure du gouvernement Barnier en dépit des accusations d’irresponsabilité politique. Mais lorsque Macron propose à peu près le même gouvernement, dirigé cette fois par François Bayrou, le PS de Faure estime que la comédie a suffisamment duré : lui et le RN de Bardella qui a fait le même calcul à l’autre bout de l’échiquier politique acceptent de ne pas censurer ce nouveau gouvernement macroniste, permettant au président de la République de garder le pouvoir alors qu’il a perdu les élections législatives. C’est que voilà : il ne faudrait quand même pas acculer Macron à la démission alors que le PS ne pourrait pas gagner une élection présidentielle, surtout pour un programme auquel on ne croit pas !

Toujours pas de programme

Bien sûr, cela lui fait encourir une volée de bois vert de ses anciens partenaires du NFP et surtout de la FI, qui n’a aucune intention de se priver de l’occasion d’afficher le PS comme traître à ses électeurs, ce qu’il est. Mais Faure n’a de toute façon aucune intention de poursuivre le NFP : il déclare que quoi qu’il arrive, il n’y aura pas d’alliance avec la FI à l’élection présidentielle suivante ; qu’il veut rassembler « de Ruffin à Glucksmann », alors que le rédacteur en chef de « Fakir » est désormais lui aussi à couteaux tirés avec la FI. Son adversaire Nicolas Mayer-Rossignol, revenu à la charge pour le congrès 2025, est d’accord avec cela sauf sur un point : lui ne veut pas de François Ruffin dans ce rassemblement, encore trop suspect d’être de gauche à ses yeux. Un troisième homme, le député Boris Vallaud, se présente lui aussi au congrès du PS bien qu’étant d’accord avec Faure parce que… parce que. Aucun des trois ne prend de position particulière sur le programme : pourquoi faire ? De toute façon, tout le monde sait très bien ce que le PS fait de ses programmes.

On comprend que Faure, malgré tous les adversaires que lui ont fait ses virages successifs, ait gagné : dans ce contexte où il n’y a finalement aucun enjeu politique et presque aucun enjeu stratégique, les trois concurrents étant d’accord pour enterrer le NFP, les militants du PS ont réélu le plus intelligent, celui qui a le mieux su s’adapter et s’est montré le plus soucieux de l’intérêt de l’organisation.

Quant à savoir à quoi va bien pouvoir servir ce parti qui n’a toujours pas de projet politique stable et distinct à présent, ce n’est pas aux bureaucrates, même les plus habiles, qu’il faut le demander.

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