La dernière semaine des vacances de Pâques a connu deux temps forts de la résistance au projet de ligne LGV Montpellier-Perpignan, deux rendez-vous importants : un débat public le 25 puis un rassemblement le 27, qui ont donné à voir toutes les variantes de l’opposition au projet et sa vivacité.
Une “discussion publique” a d’abord eu lieu le jeudi à Poussan à l’initiative de la Coopérative Intégrale du Bassin de Thau – collectif qui se présente comme “portant un projet politique anticapitaliste”– sur le thème “Ligne à grande vitesse : ni ici ni ailleurs”. Le ton est donné.
« Ligne à grande vitesse : ni ici, ni ailleurs »
Pour nourrir le débat, la CIBT avait invité Brigitte Cohen, présidente de l’Observatoire du Pays de Thau dont la vocation est de contrôler toutes les atteintes au bassin versant de l’étang, membre de ALT (Alerte LGV Thau) et Daniel Ibanez, spécialiste des projets ferroviaires engagé dans la lutte contre la ligne LGV Lyon-Turin.
La première a montré comment la belle unanimité des maires de l’agglomération en faveur du projet s’est fendillée à partir de 2020. Elle a surtout détaillé tous les risques environnementaux contenus dans le projet tel qu’il est défini dans la déclaration d’utilité Publique (voir ci-dessous) et cité l’avis de la très officielle l’autorité environnementale qui a constaté l’absence d’études préalables sur les captages d’eau qui alimentent le bassin de Thau.
Le second a totalement démonté l’argument utilisé pour justifier les nouvelles lignes de la saturation du réseau actuel. Il n’en est rien. À partir de l’exemple de la Suisse qui, avec 5 fois moins de kilomètres de voies, fait rouler autant de train que la France (150 000 par jour), il en conclut qu’on peut “rajouter des trains sur les lignes actuelles”. Il rappelle aussi que la loi dite LOTI ( Loi d’Orientation des Transports Intérieurs) impose de réaliser des bilans entre prévisions et réalisation cinq ans après l’ouverture d’une ligne. Or, pour le tronçon Perpignan-Figueras, il s’avère que son utilisation se situe à seulement 15% de l’objectif. Il constate également que le bilan de contournement Nîmes-Montpellier Sud de France n’a même pas été réalisé alors qu’il devrait l’être depuis trois ans.
Une future Notre-Dame des Landes version Bassin de Thau ?
Cette réunion très instructive a réuni parmi les opposant·es à la ligne LGV le maire de Montbazin, mais aussi celleux – souvent les mêmes- qui s’opposent à d’autres projets écocides dans le département comme le parking de la place Aristide Briand à Sète ou à la ZAC St Christol à Pézenas, tout·es espérant une convergence des luttes qui permette de changer de logique de développement du territoire.
Les militantes de la CIBT expliquent leur refus de la nouvelle ligne par le grand paradoxe du projet qui est de ”perdre sa vie à aller vite et perdre son temps pour rejoindre une gare TGV. » Conscient·es des risques de submersion de la ligne actuelle sur certains tronçons, ils appellent à une réflexion sur “une ligne à taille humaine qui répond aux besoins réels des usager·es et qui permet le délestage routier et autoroutier par le développement du fret. » Il s’agit de “remettre en service des lignes délaissées et re-densifier le réseau”. À partir du questionnement « et si on leur offrait un « Notre Dame des Landes » version Bassin de Thau ? », ielles souhaitent poursuivre la discussion sur les différentes formes d’organisation à construire dans les luttes environnementales.
Rassemblement devant la gare de Sète pour dire halte
Deuxième rendez-vous quelques jours plus tard. Aux côtés d’une centaine de citoyen·nes et d’élu·es, ces mêmes militant·es de la CIBT ont répondu, malgré des divergences de points de vue, à l’appel du collectif ALT (Alerte LGV Thau) à se rassembler devant la gare de Sète avec un objectif : tout faire pour empêcher le désastre que constituerait la réalisation d’un projet écocide et inutile en termes d’amélioration des transports pour le territoire.
Car si ce projet LGV Montpellier-Perpignan permettra aux voyageurs européens de gagner quelques minutes sur un Paris-Barcelone, ce sera au prix de la suppression des dessertes des gares de Sète et d’Agde dans lesquelles se rendent actuellement l’immense majorité des habitants du Bassin de Thau pour leurs déplacements ferroviaires. Suppression aux lourdes conséquences pour l’activité touristique et thermale du territoire. Pire encore, cette nouvelle ligne n’offre même pas une alternative à la future submersion de l’actuelle ligne puisqu’aucun arrêt n’y est prévu entre Montpellier et Béziers.
C’est pourquoi les maires du territoire ne se laissent plus avoir par des approximations et des promesses irréalistes. Ils sont bien conscients des risques du projet. Intervenantes après intervenants, chacun•e a soulevé une problématique et ajouté un argument à l’édifice de la contestation populaire qui grandit au fur et à mesure que se précise la perspective d’un territoire condamné à être défiguré et réduit à n’être qu’une voie de transit.
Des maires alarmés et en colère
Le maire de Montbazin, Josian Ribes, indique que sa commune s’est prononcée dès 2021 contre la déclaration d’Utilité Publique. Il évoque des dommages collatéraux du chantier comme l’ouverture d’au moins une carrière et se félicite de la récente position adoptée par Sète Agglopôle Méditerranée de suspendre son financement tant que le projet ne sera pas révisé. Il rappelle que le Département de l’Hérault, par le voix de son président, a déjà annoncé suspendre également sa participation, mais lui pour des motifs d’austérité budgétaire, ce qui compromet quand même le bouclage financier du projet.
Christophe Morgo, maire de Villeveyrac, insiste sur le problème de desserte et de risques pour les nappes souterraines, notamment celle d’Issanka qui alimente une partie de la ville de Sète. Il rappelle qu’on en est au 3e tracé depuis 1982 et que celui-là est le plus problématique, certains défendant une version plus au nord qui longerait l’autoroute A9.
La présidente de l’Observatoire du Pays de Thau complète le propos sur la gravité des menaces en évoquant comme elle l’avait fait jeudi à Poussan, les captages de Florensac et de Bessan, et le fragile équilibre de l’étang. Probablement à l’adresse du Maire de Sète, président de la communauté d’agglomération, Brigitte Cohen dit son refus de parler de compensations : “si on commence à parler de compensation, ça veut dire quelque part qu’on accepte le projet. » Or, rappelle-t-elle, même le ministère de l’Environnement a émis un avis négatif en janvier 2025. C’est pourquoi elle insiste pour multiplier les réunions d’information dans toutes les communes.
Fabienne Herman-Michel, 2e adjointe à Poussan, a affirmé que sa commune n’était pas “contre le projet, mais contre son tracé” qui en plus de la pollution visuelle et environnementale avec ses viaducs, va sacrifier, 10% du vignoble du Picpoul, la via Domicia et le massif de la Gardiole dans lequel doit être creusé un tunnel. Elle a évoqué les usines à béton nécessaires à la réalisation de ces ouvrages “On vous l’a enlevé à Sète, mais on va devoir en recréer pour construire tous ces viaducs. » Et les carrières ? “Il y en a une à Poussan. Elle ne suffira pas. Qui va accueillir la prochaine ? De toutes les communes du Bassin de Thau, qui la veut ? Ou plutôt, qui ne la veut pas ? »
Enfin, pour Loupian, son adjoint à l’urbanisme Pascal Musenger est revenu sur l’importance de la source de Florensac qui alimente avec Issanka la totalité du bassin de Thau, or les deux sont sur le tracé. Il a tenu à témoigner du traitement infligé aux élu·es du Bassin de Thau lors d’une réunion à la Région présidée par Carole Delga où, dit-il “On a été humiliés, sacrifiés sur l’autel de l’Europe […] À les entendre, nous le bassin de Thau, on empêche les Pyrénées-Orientales de vivre. » Au-delà de ce sentiment assez pénible d’être pris comme bouc émissaire et responsable d’un projet mal ficelé, l’élu loupianais voit dans l’inquiétude palpable du Préfet de Région le signe d’un possible fléchissement.
Le projet a du plomb dans l’aile
Conclusion que partage Félix Caron, responsable du collectif ALT (Alerte LGV Thau) qui espère que la conférence prochaine de financement des infrastructures organisées par le ministère des Transports relègue ce projet pensé il y a 15 ans. “ça relève du bon sens que de mettre sur pause les projets qui ne sont pas utiles, pas pertinents et mal pensés. »
Dans la foule massée devant la gare, on note la présence de l’ancien maire communiste François Liberti, du conseiller départemental Gabriel Blasco et une solide délégation du PCF sétois affirmant ainsi qu’ils n’étaient pas sur la même position que leur camarade Jean-Luc Gibelin, vice-président à la Région en charge des transports et ardent défenseur du projet. Tou·tes les responsables écologistes et insoumis·es de Sète étaient également présent·es aux côtés des associatifs comme le collectif Bancs Publics et le comité des usagers de l’Eau du Bassin de Thau.
Dans la diversité des points de vue qui vont du refus du tracé au refus du principe même de créer en France de nouvelles lignes à grande vitesse, de l’attente de décisions gouvernementales à la préparation d’une lutte plus dure, toutes et tous partagent le diagnostic et la volonté de stopper le projet actuel.
