Tergiversations, reculs, mais aussi tribunes et mobilisations marquent cet été 2025. Tandis que l’aide de l’ONU est toujours bloquée aux portes de Gaza et que le nombre des victimes de la famine augmente chaque jour, Netanyahu et ses ministres ne cachent pas leur volonté d’engager l’occupation complète de la bande de Gaza, la vidéo de deux de ses otages envoyée par le Hamas lui permettant de justifier cette étape finale « d’éradication des ennemis » par une guerre qui a tué depuis le 7 octobre 2023 pour deux tiers de ses victimes, des femmes et des enfants.
Les appels à cette solution finale se multiplient, des « négociations » pour envoyer les survivant•es palestinien•nes dans d’autres pays ne sont même pas occultées. Comme si l’épuration ethnique de Gaza ne suffisait pas, le parlement israélien a même voté le 23 juillet par 71 voix contre 13 le projet d’annexion de la Cisjordanie. Mais dans la société israélienne, le génocide est enfin reconnu comme tel par les voix éminentes comme celle de l’écrivain David Grossman, reconnu et documenté par l’ONG B’Tselem alors que 31 personnalités israéliennes demandent dans le Guardian du 29 juillet des sanctions « immédiates et paralysantes » contre leur propre pays.
Émotion à géométrie variable
Commentant un article de Libération intitulé « Otages israéliens à Gaza : l’onde de choc après une vidéo glaçante » qui relate les dénonciations internationales qu’elle a suscitées, l’autrice Mona Cholet s’interroge : « Pourquoi faut-il que les effets de la famine orchestrée par Israël se voient sur des otages israéliens pour apparaître dans toute leur horreur? Pourquoi les otages israéliens apparaissent-ils comme plus innocents que les millions de Gazaouis soumis à la même torture ? En quoi leur sort est-il plus scandaleux ? Pourquoi les images des Gazaouis crevant de faim ne provoquent-elles pas aussi une « onde de choc » et ne sont-elles pas également jugées « glaçantes »? De quoi les Palestiniens sont-ils obscurément jugés coupables, alors que leur seul tort est d’être « nés là », comme le dit Annie Ernaux ? Si les Gazaouis étaient collectivement coupables de l’attaque du 7 octobre 2023, et méritaient donc leur sort, alors les Israéliens seraient collectivement coupables de l’occupation et auraient mérité l’attaque du 7 octobre 2023. Ce raisonnement n’est pas acceptable. Pourquoi ces mots de Macron – «Une cruauté abjecte, une inhumanité sans limites» — sont-ils réservés au Hamas, alors qu’ils s’appliquent parfaitement aux agissements israéliens, cette fois à l’échelle d’une population entière ? »
Encore une punition collective ?
Mona Cholet, l’ex- journaliste au Monde Diplo et autrice de plusieurs ouvrages féministes n’est pas la seule à exprimer sa colère en ce mois d’août 2025. Plus de 200 universitaires se sont élevés de leur côté avec force contre la décision du gouvernement français de suspendre, à compter du 1er août 2025, les évacuations des étudiant•es palestinien•nes de Gaza, y compris celle prévue le 6 août. « Une telle décision va à l’encontre des principes fondamentaux de l’État de droit : alors qu’une étudiante rescapée de Gaza est accusée d’antisémitisme, ce sont tou•tes les étudiant•es palestinien•nes de Gaza qui sont puni•es. Le droit pénal, qui affirme par ailleurs la présomption d’innocence, ne connaît de responsabilité que personnelle: «Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait » (Code pénal, art.121-1) » ont-ils fait savoir par une pétition qui demande au gouvernement de revenir sur cette décision, lui qui n’accueille déjà que très peu d’étudiants palestiniens à l’issue d’une procédure extrêmement lourde. « Un tel processus est particulièrement éprouvant pour des personnes vivant depuis 22 mois une situation inhumaine. Aussi, ne doit-il pas être interrompu sine die. ». Ces professeurs rappellent « À l’heure où 95% des établissements éducatifs de Gaza ont été endommagés ou détruits par Israël, et où de nombreux spécialistes caractérisent d’éducide ou de scolasticide la situation sur place (plus de 700 000 enfants et étudiant⋅es palestinien⋅nes ont été privé•es d’éducation depuis 2024), nous avons l’obligation d’ouvrir nos portes et nos institutions aux étudiant•es et à nos collègues des universités de Gaza.»
Responsabilités individuelles
L’association « Avocats pour la justice au proche orient » a annoncé à la presse le 29 juillet dernier avoir réclamé au procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) une « enquête sur le rôle » de différents membres de l’exécutif français, « dans la commission des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et de génocide par les forces armées israéliennes dans la bande de Gaza et la Cisjordanie occupée. »
Cette requête consultable sur le net vise en particulier le président français Emmanuel Macron, des membres du gouvernement à commencer par son Premier ministre François Bayrou, mais aussi Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères et Sébastien Lecornu, ministre des Armées, ainsi que 19 députés de la Commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale. Le député du MODEM Laurent Croizier (Doubs) ; le député Droite républicaine Eric Liégeon (Doubs) ; le député Rassemblement National Guillaume Bigot (Territoire de Belfort) et le député RN Julien Odoul (Yonne) en font partie.
Des historiens montent au front
Alors que , au mépris du droit international et de ses propres responsabilités politiques, Emmanuel Macron avait renvoyé aux historiens le soin « plus tard » de qualifier ou pas de génocide la guerre menée par Israël contre le peuple palestinien, ce sont précisément deux historiens, Elie Barnavi et Vincent Lemire qui se sont adressés à lui, le président de la République, en publiant dans le Monde en date du 6 août une lettre titrée « Sans des sanctions immédiates contre Israël, c’est un cimetière que la France reconnaîtra en Palestine »
Sur une pleine page, ils font la genèse du génocide en cours et constatent: « À ce jour, la France n’a ni demandé ni, a fortiori, mis en place aucune sanction concrète pour peser vraiment et tout de suite. L’Union européenne vient de décider un 18e paquet de sanctions contre la Russie pour la punir de ses méfaits en Ukraine : aucune sanction contre Israël » tandis que la famine gagne, que 1 400 personnes ont été tuées ces dernières semaines en allant chercher de la nourriture dans les seules distributions autorisées par l’occupant, « sous les balles des snippers mercenaires de la mal nommée Gaza Humanitarian Fondation ».
Ils fustigent dans leur lettre ouverte le largage surmédiatisé de 40 tonnes d’aide alimentaire par la France, soit l’équivalent d’un camion quand 500 par jours seraient nécessaires pour juguler la famine : « Ces largages par avion sont dérisoires, humiliants et dangereux » affirment-ils.
S’ils se réjouissent de la promesse de reconnaissance de l’État palestinien, ils avertissent : « Depuis votre annonce du 24 juillet, tout a basculé sur le plan diplomatique, mais rien n’a changé à Gaza. La promesse d’une reconnaissance n’a jamais nourri personne. Soyez cohérent, si vous voulez préserver la possibilité d’un futur État de Palestine, commencez par sauver ses futurs citoyens. »
Derrière – ou devant- ces quelques voix fortes et symboliques, partout en France et en Europe, on assiste à des centaines de rassemblements, de manifestations diverses, de signes de solidarité, et de drapeaux brandis au risque de répression policière et de garde à vue. De plus en plus de citoyen·nes prennent conscience qu’à Gaza comme à Auschwitz, « c’est l’humanité qu’on assassine« , comme le scandent les manifestant·es, quelque chose de notre humanité à chacun·e d’entre nous.
