Décriée, critiquée, l’écriture inclusive dénaturerait le Français, c’est même, selon l’académie française, « un péril mortel pour la langue française ». Elle serait moche, compliquée et d’aucune utilité pour le combat féministe. Pourtant, la langue est éminemment politique, elle exprime notre modèle du monde. Elle est ce monde et dans ce monde, ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Réécrire les rapports de genre en bousculant cette bonne vieille grammaire, c’est mettre à mal les rapports de domination masculine. D’autant plus que cette langue a existé.
Commençons par un peu d’histoire et rappelons que l’Académie française fut crée au XVIIe siècle par Richelieu pour définir les normes de la langue française. Elle rassemble 40 personnalités, poètes, écrivains, philosophes, historiens, scientifiques mais aussi militaires de haut rang, hommes d’État et dignitaires religieux. Uniquement des hommes pendant 345 ans, dont un seul linguiste, en 4 siècles. En 2019, sur les 733 membres que compte l’institution depuis sa création, seules 11 femmes y ont fait leur entrée, à partir de 1980.
Cette prestigieuse institution d’entre soi masculin a donc commencé son glorieux travail en décrétant, dès le milieu du XVIIe siècle, que le masculin prédominerait sur le féminin et en supprimant certains noms féminins de son dictionnaire, notamment des noms de métiers ou de titres comme mairesse, poétesse, doctoresse, peintresse, graveuse, professeuse, écrivaine, chevalière ou officière, signifiant ainsi aux femmes que ces activités restaient l’apanage des hommes. « Le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble. » (Claude Favre de Vaugelas, Remarques sur la langue française, 1647).
Le masculin devint alors la valeur par défaut avant qu’avec la généralisation de l’école primaire, vers le milieu du XIXe siècle, la règle intangible toujours en vigueur s’impose, le masculin l’emporte sur le féminin.
Forme grammaticale et représentation mentale
Cette belle trouvaille bourgeoise et patriarcale, reprise le 30 octobre 2023 lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts par le président-monarque dans sa formule « le masculin fait le neutre », a invisibilisé le féminin (les femmes) et contribue toujours à former nos cerveaux à penser au masculin.
Bien qu’il soit voulu comme générique, le masculin est souvent interprété de façon spécifiquement masculine. Et de fait, comme le dit l’historienne de la littérature Éliane Viennot « si citoyen voulait dire citoyenne, les femmes auraient le droit de vote depuis 1789 ! ». Toutes les études menées prouvent que le masculin n’est jamais neutre parce qu’il crée une image masculine dans le cerveau. Par exemple, dans une des études (Markus Brauer, directeur de recherche au CNRS/2008), il est demandé à des passantes et passants de citer des personnes qu’ils ou elles pensaient aptes à occuper le poste de premier ministre. Dans un cas, la question posée était « citez tous les candidats de droite ou de gauche que vous verriez au poste de premier ministre » dans l’autre, c’était « citez tous les candidats ou candidates de droite ou de gauche que vous verriez au poste de premier ministre ». Trois fois plus de femmes ont été citées quand la question était posée avec le doublon. Juste le fait que l’on prononce le mot candidate, au féminin donc, ouvre une porte mentale qui permet de penser aussi à l’autre moitié de la population.
Dans une autre étude, également menée par Markus Brauer en 2008, on donnait aux participant·es un nom de métier au masculin (avocat) ou avec le doublon (avocat /avocate). Et on leur demandait d’inventer un personnage typique de ce métier. Comment cette personne s’appelle, ce qu’elle fait, ses goûts, etc. Il y a eu 4.5 fois plus de récits de femmes avec le doublon qu’avec le masculin seul.
Une autre étude (Département des sciences de l’éducation et de la psychologie de l’université libre de Berlin/2012), cette fois-ci faite sur des enfants montre que lorsqu’on présente une description de métier réputée masculine (pilote, pompier, mécanicien…) écrite au masculin, les enfants considèrent que les hommes auront plus de succès que les femmes dans ce métier. Cet effet est atténué si la description du métier est donnée dans un langage inclusif. Des résultats similaires ont été relevés chez des ados. En fait, si à chaque fois qu’on entend parler d’un métier, d’un trait de caractère ou d’un statut social, il est évoqué au masculin, on renforce alors cette vision masculine des choses. L’usage du doublon conduit incontestablement à beaucoup plus de représentations féminines. (Toutes ces études sont décrites par Viviane Lalande, communicatrice scientifique, formatrice, chroniqueuse, et créatrice de Scilabus).
L’écriture inclusive ne se réduite pas au point médian
C’est moche de dire autrice (mais pas actrice) ou carreleuse (mais pas coiffeuse ou vendeuse) ou encore pompière (mais pas boulangère ou caissière)… C’est compliqué d’écrire une cheffe, une colonelle, une préfète ou de mettre des points à l’intérieur des mots, ça empêche de lire. En fait, tout est question d’habitude. L’oreille et les yeux s’adaptent et s’habituent à force d’entendre et de lire. D’ailleurs, le langage inclusif, ou non sexiste, ne se limite pas au point médian, loin s’en faut. C’est une boîte à outil qui offre de multiples techniques :
► On peut commencer par accorder au féminin lorsqu’il s’agit de femme : une agente, une ingénieure, une sénatrice…, « la meilleure écrivaine » plutôt « que le meilleur écrivain », « Madame la » plutôt que « Madame le », etc.
► On peut également varier les règles d’accord, soit à la majorité (un homme et dix femmes intelligentes, une femme et dix hommes intelligents), soit à la proximité (des femmes et des hommes intelligents, des hommes et des femmes intelligentes). D’ailleurs, dans l’usage, certaines formes d’accords de proximité perdurent comme « les plus belles villes et villages de France », « des jours et des nuits entières », « les prochaines semaines et mois », « de nombreuses décisions et échanges »…
► Autre solution d’écriture inclusive, les doublons ou double flexion (militant et militantes, toutes et tous, Sétois et Sétoises, insoumis et insoumises…) Pour ma part, il m’arrive de les mixer comme celleux à la place de celles et ceux ou auditeurices pour auditeurs et auditrices ou encore d’utiliser le pronom iel pour parler de il et elle.
► Il est aussi possible d’utiliser des termes épicènes (qui ont la même orthographe au féminin et au masculin) comme artiste, bénévole, fonctionnaire, membre, destinataire, personne… ou des formules englobantes (le secteur agricole, la population palestinienne, l’équipe commerciale).
► Le point médian est un outil utile à l’écrit (les nombreux·ses, les manifestant·e·s, que, pour ma part, j’écris manifestant·es pour limiter le nombre de points médians). S’il est utilisé de manière adaptée, on s’y habitue très vite et il ne gêne en rien ni la lecture ni la compréhension.
Une étude réalisée sur plusieurs dizaines d’étudiantes et d’étudiants (Féminisation et lourdeur de texte de Pascal Gygax et Noelia Gesto/2007) a testé l’idée, avancée par l’Académie française (2002), que la (re)féminisation du langage alourdissait le texte. Les temps de lecture de textes rédigés au masculin, au féminin, en écriture inclusive avec des tirets (pas des points médians) et en écriture inclusive avec des doublons ont donc été mesurés. Toutes les formes ont créé un ralentissement de la lecture par rapport au texte écrit au masculin… mais seulement à la première phrase. Une fois la première occurrence passée, la vitesse de lecture devenait la même dans toutes les situations.
Retrouver de l’égalité
En résumé, si on s’en tient à la recherche, notre langue a un biais masculin. Ce biais de domination, qui a pour principe que l’homme est supérieur à la femme, est bien sûr préjudiciable aux femmes et l’écriture inclusive atténue ces problèmes. Le langage non sexiste n’est ni un effet de style, ni une invention de féministe ou une exigence révolutionnaire, il s’agit juste d’abandonner la langue patriarcale pour revenir à une langue française structurelle qui respecte l’égalité des sexes, comme c’était le cas avant l’intervention des masculinistes à partir du XVIIe siècle. Car il est avéré que le langage inclusif influe sur la perception de chaque personne comme sur l’imaginaire collectif. Et si ça surprend au début, on s’y habitue très vite. « On peut s’y mettre nous-mêmes, on a pour ça la langue, c’est la nôtre, il suffit qu’on veuille bien parler un langage moins sexiste » explique Eliane Viennot. Effectivement, la langue française donne tous les outils pour démasculiniser le langage, à chacune et chacun de s’emparer des moyens qui lui conviennent le mieux. Ainsi, nous pourrons remettre à sa juste place la moitié féminine de la population. Une langue vivante pour une société égalitaire.
Fiche pratique action populaire sur l’écriture inclusive : https://infos.actionpopulaire.fr/fiches/utiliser-lecriture-inclusive/
Conférence d’Eliane Viennot, Non, le masculin ne l’emporte pas ! https://www.youtube.com/watch?v=-j2wMF8MjRM
