[Rhany Slimane, co-chef de file LFI pour les élections municipales à Montpellier.] Carnets de campagne #3.
Le dernier conseil municipal de cette mandature n’était pas un simple rendez-vous institutionnel. Pour beaucoup, ce n’était qu’une formalité de plus, un point final administratif. Pour moi, c’était autre chose. C’était un moment lourd. Un de ceux où l’on mesure le temps passé, ce qu’on a vu, ce qu’on a encaissé, nos victoires, mais aussi, hélas, ce qu’on n’a pas réussi à empêcher…
Pendant six ans, j’ai été là. Au premier rang, comme coordinateur du groupe d’opposition de gauche. À écouter, à lire, à me battre. Six ans à voir défiler les mêmes promesses, les mêmes éléments de langage, les mêmes sourires sûrs d’eux. Six ans à constater l’écart grandissant entre ce qui se disait dans cette salle et ce qui se vivait dehors.
En regardant ce dernier conseil, je repensais à la Bastille, le 18 mars 2012, date anniversaire de la Commune de Paris. Je pense à Jean-Luc Mélenchon, dans un discours devenu célèbre, qui disait que la colère populaire est légitime. Qu’elle n’est pas un problème à corriger, mais une énergie à reconnaître. La colère des classes populaires, celle qui vient de la fatigue, de l’humiliation, du sentiment d’être abandonné. Cette colère-là, je la sens au quotidien dans la ville.
Une majorité qui s’est coupée du réel
Depuis 2020, la méthode Delafosse est restée implacablement la même : le pouvoir pour le pouvoir, vertical, verrouillé, persuadé de sa propre supériorité morale. La concertation est devenue un décor. La contradiction, une nuisance. Les conseils municipaux ont été vidés de leur substance. Les grandes décisions arrivaient déjà ficelées. Et quand les habitants parlaient, quand les quartiers populaires alertaient, on passait à autre chose.
Je ne parle pas ici d’un sentiment. Je parle de faits. J’ai vu des rapports édulcorés. J’ai vu des alertes enterrées. J’ai vu la rénovation urbaine en bas de la Paillade se faire sans les habitants, donc contre eux. J’ai vu des gens qui demandaient juste à être respectés se heurter à un mur technocratique. Pour ces gens, la caste qui gouverne, notre existence est un fardeau et notre vue quasi insupportable si notre attitude n’est pas docile et serviable, comme à l’époque de la colonisation.
Ça me rappelle une anecdote : le règlement intérieur du conseil municipal a été modifié pour empêcher les collaborateurs de groupe de siéger dans la salle. Officiellement, une décision d’ordre logistique. En réalité, tout le monde savait : c’était pour que je n’y sois pas. Parce que je n’étais pas des leurs. Parce que je rappelais trop ce que la politique est censée être : un conflit d’intérêts assumé, pas un dîner mondain. Et j’ai la faiblesse de croire aussi que c’était peut-être parce que je faisais bien mon travail.
Sûreté : quand le bruit remplace le courage
S’il y a un domaine où ce mandat laisse une trace amère, c’est bien celui de la sûreté. Six ans de bruit. Six ans d’annonces. Six ans d’opérations « spectaculaires ». Et six ans de renoncements silencieux.
Les opérations « place nette » ont été brandies comme des preuves d’action alors que leur efficacité est proche de zéro. Sur le terrain, elles ont surtout produit de la peur, de l’humiliation et un profond sentiment d’injustice. On intervient fort, puis on disparaît. On montre les muscles, puis on laisse les quartiers seuls avec leurs problèmes.
Pendant ce temps, la prévention a été abandonnée. Les éducateurs de rue ont vu leurs moyens fondre. Certains contrats n’ont pas été renouvelés. La médiation sociale a été traitée comme une variable d’ajustement budgétaire. Pourtant, tout le monde sait que ce sont eux qui tiennent la digue. Quand on les enlève, la violence ne disparaît pas : elle se déplace, elle explose ailleurs.
Au lieu de cela, la majorité PS a choisi d’instrumentaliser la police municipale, de la transformer en auxiliaire d’une politique nationale inefficace. Plutôt que de reconstruire une police de proximité, humaine, connue, enracinée, ils ont préféré le spectaculaire. Contrairement à ce qu’ils disent, la gauche ne fuit pas ces sujets. Elle les affronte autrement.
Transports : quand la promesse se vide
La gratuité des transports a été présentée comme une grande avancée. Mais pour beaucoup d’habitants, notamment dans les quartiers populaires, la réalité est plus cruelle : des rames pleines à craquer, des fréquences trop faibles, des trajets rallongés. On a financé la gratuité en comprimant l’offre.
La gratuité n’est pas une politique en soi. Sans investissement massif, elle devient un slogan. Quand on dépend des transports pour travailler, pour vivre, ce slogan sonne creux. L’inauguration de la ligne 5, dont le coût fut provisionné par la majorité précédente, se conjugue avec une promesse terrible de Michaël Delafosse : « Je déconseille à quiconque de mettre en place un équipement comme une nouvelle ligne de tram dans les dix ans à venir. »
Le budget : là où tout se joue vraiment
Lors de ce dernier conseil, la majorité s’est félicitée de sa gestion budgétaire. Les chiffres étaient propres, les tableaux bien alignés. Mais un budget, ce n’est jamais qu’un tableau Excel. C’est un choix de société.
Je l’ai appris à la commission des finances de l’Assemblée nationale, où j’ai travaillé pendant deux ans, en particulier sur les lignes budgétaires de la prévention des risques et sur une partie de la transition écologique. Je vous le confirme ici :
ces fichiers changent la vie des gens. Ils décident s’il y aura des éducateurs, des ATSEM, des places en crèche, du temps humain.
Je pense à ma tante, assistante-puéricultrice. Fatiguée. Épuisée même. Fatiguée d’une politique qui parle de soin, mais ne soigne rien. Fatiguée d’un système qui use celles et ceux qui prennent soin des autres. Cette fatigue-là, elle est politique et budgétaire. Elle est le résultat de choix. Et c’est pour cela que la caste fait tout pour que tout soit inaccessible et opaque au commun des mortels.
Et cette volonté de dissimulation cache une priorité claire pour le maire : des projets visibles, valorisables, « présentables », au détriment du quotidien des gens. Les alertes sur la souffrance des agents, sur la gestion des ressources humaines, sur l’empilement incohérent des dispositifs ont été ignorées. Jusqu’à ce geste symbolique et violent pour une majorité qui se définit de gauche : porter plainte contre des ATSEM. Là, on a franchi un seuil. Je n’oublierai jamais. Jamais…
Une écologie de façade
L’écologie aussi a été réduite à une vitrine. Derrière les discours, des projets ont abîmé des espaces naturels, favorisé les promoteurs, alimenté la colère. Le plan local d’urbanisme en est un exemple frappant. La Cité Bergère aussi.
La méthode est ancienne, presque caricaturale : décider en petit comité, communiquer fort, mépriser les oppositions, gérer (ou pas) les dégâts ensuite.
Ce que laisse vraiment ce mandat
Ce dernier conseil municipal n’a pas refermé une parenthèse. Il a révélé une fatigue démocratique profonde, une ville où le pouvoir s’est éloigné de celles et ceux qu’il prétend servir. Je n’écris pas ces lignes par rancœur. Je les écris parce que j’ai vu. Parce que j’ai été là. Parce que je sais comment les décisions se prennent quand les portes se ferment.
Six ans, c’est long. Assez long pour comprendre que Montpellier mérite mieux qu’une politique de façade. Assez long pour refuser que tout cela soit effacé par un récit flatteur.
Ce carnet est un témoignage. Une mémoire. Et peut-être, aussi, une promesse silencieuse : celle de ne plus accepter que la colère populaire soit tenue à distance, comme un bruit gênant qu’on ferait taire.