A69 : quand les sénateurs déblaient le droit au bulldozer parlementaire

"Des juges qui se trompent vous pouvez en afficher des bottins de téléphone" Jean-Pierre Grand - Photo - Vakita
"Des juges qui se trompent vous pouvez en afficher des bottins de téléphone" Jean-Pierre Grand - Photo - Vakita

Le chantier de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, pourtant suspendu par une décision de justice en février dernier, pourrait reprendre avec une simple loi.

Jeudi 15 mai, le Sénat a massivement adopté une proposition de loi qui pourrait « valider » ce projet de 53 kilomètres, en contournant le jugement du tribunal administratif de Toulouse qui avait annulé son autorisation environnementale.

Pour les élu·es de la majorité présidentielle et leurs allié·es centristes, il n’y a pas d’espèces à protéger, il s’agit au contraire d’un chantier stratégique pour « désenclaver » le sud du Tarn. Ils avancent l’urgence d’achever les deux tiers déjà réalisés et les 200 000 euros par jour qu’engendrerait l’arrêt.

Le 2 juin 2025 : court-circuitage en vue

Mais ce passage en force provoque l’écœurement. Juristes et militant·es dénoncent une intrusion du législatif dans le champ judiciaire. L’avocat en droit de l’environnement Arnaud Gossement y voit une forme de pression inédite sur une procédure en appel . Car la Cour administrative d’appel de Toulouse doit justement examiner, le 21 mai, la demande de sursis à exécution de l’État.

Problème : si la loi est votée par l’Assemblée nationale le 2 juin, elle pourrait court-circuiter le jugement à venir. Le Conseil constitutionnel, qui est garant de la séparation des pouvoirs, sera probablement saisi. Mais même si les opposant·es saisissent ensuite le Conseil d’État ou la justice européenne, les recours prendront des mois. D’ici là, l’autoroute pourrait être terminée sur une base illégale.

Une dérive inquiétante

Et voici un florilège d’élu·es de la République qui piétinent la justice au nom de « l’intérêt général. » Par ce motif suprême, plusieurs sénateurs de droite et du centre affichent une désinvolture alarmante face à l’État de droit. Interpellés par le journaliste William Thorp pour Vakita, ces élu·es n’ont pas seulement défendu la reprise du chantier de l’A69, pourtant suspendu par la justice : ils ont justifié l’idée même de contourner une décision judiciaire par un vote parlementaire.

Jean-Pierre Grand qui a rejoint Horizons pour le moment, incarne cette dérive avec un cynisme assumé. À la question sur la décision du juge ayant suspendu les travaux, il répond : « un juge, avec sa signature, bloque des centaines de millions de travaux ». Puis il ajoute, dans une formule d’un autre siècle : « des juges qui se trompent, vous pouvez en afficher des bottins de téléphone ». Ensuite, il ose balayer les alertes scientifiques sur la destruction d’arbres centenaires : « c’est les théories des écolos-bobos ». Quand le journaliste évoque la science, il rétorque sèchement : « non non, c’est pas la science ».

Plus banal, le sénateur LR Roger Karoutchi reconnaît quant à lui qu’il votera le texte de validation sans savoir de quoi il retourne : « je vais suivre la position du groupe. Je n’en sais rien, pour être tout à fait franc avec vous ». Même désinvolture chez Franck Ménonville (centriste), pour qui le contournement judiciaire est assumé : « faudra faire changer la loi d’ailleurs ».

En revanche, Annie Genevard, ministre de l’Agriculture, fait mine de croire que « la route est presque achevée », alors qu’environ 45 % des terrassements ont été réalisés.

Des élu·es qui défient la justice, méprisent la science et légifèrent à l’aveugle : voilà ce que risque de révéler, l’affaire A69. Y a-t-il là, une fourberie institutionnelle au mépris des principes démocratiques ? A cette course de vitesse qui ressemble fort à une fuite en avant, la majorité politique et les grands groupes de BTP qu’elle abreuve de fonds publics ont malheureusement plus d’atouts et de moyens qu’une justice à l’os.

Reste que le projet de l’A69 est considéré comme écocide en raison de son impact environnemental, notamment la destruction de terres agricoles et de zones humides, ainsi que l’abattage de milliers d’arbres. La mobilisation citoyenne dénonce aussi le coût élevé du projet, estimé à 480 millions d’euros pour 53 kilomètres, soit près de 9 millions d’euros par kilomètre.

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