Un flic et un juge au chevet de la police républicaine : « le modèle suivi est un échec »

Insécurité état d'urgence - Photo - PLURIELLE INFO
Insécurité état d'urgence - Photo - PLURIELLE INFO

Le premier, Jean-Louis Arajol, ancien secrétaire général du Syndicat Général de la Police SGP-FO, est l’auteur d’un manifeste pour une police républicaine intitulé « Insécurité :  État d’urgence ». Le second, Gilles Sainati, est magistrat, ancien secrétaire général du Syndicat de la Magistrature. Tous deux témoins de la mise en place d’un système de productivité dans la police comme dans la justice, au détriment de leur fonctions initiales, poursuivent leur combat en allant de ville en plateaux TV dénoncer la dérive du « tout répressif » qui se révèle inapte à assurer une réelle sécurité.

Ils ont fait étape le 7 octobre dernier à Montpellier, à l’invitation de la Ligue des Droits de l’Homme qui s’alarme du fait que le droit constitutionnel à la sécurité (article 12) ait été remplacé en deux décennies par une surenchère sécuritaire et répressive.

Des « gardiens de la paix » aux « forces de l’ordre » militarisées

Par quelle opération les « gardiens de la paix » se sont mués en « forces de l’ordre » au pays des Droits de l’Homme ? Jean-Louis Arajol la situe dans la fascination de nos gouvernants, de droite comme de gauche, pour le modèle américain. « On a pris exemple sur le pire » constate l’ancien responsable du syndicat général de la Police qui a créé l’association « Police, République et Citoyenneté » pour faire contre-feu à la dérive extrême-droitière du syndicalisme policier. Il tient pour significatif du glissement sémantique opéré par ceux qui sont censés défendre la loi , le fait que le responsable du syndicat Alliance ait déclaré que « le problème de la police, c’est la Justice » et que celui du syndicat Unité se soit exclamé à propos d’un manifestant ayant eu une main arrachée en ramassant une grenade au sol « C’est bien fait pour sa gueule ». Et plus encore qu’ensemble, ils aient obtenu la démission du ministre Castaner lorsqu’il a osé dénoncer le racisme dans la police.

Le concept inepte de « tolérance zéro »

Et puis surtout, Jean-Louis Arajol rappelle qu’à partir de 1998, avec l’affirmation du concept de « tolérance zéro », tous les moyens et organisations ont été revu·es à l’aulne du quantitatif et de la « prime aux chiffres ». Dans cette logique, mieux vaut arrêter beaucoup de petits dealers ou d’usagers plutôt que de mener une longue enquête pour trouver la tête du réseau. À cet égard, la criminalisation de l’usage de la drogue dans les années 70 n’en a pas fait baisser l’usage et a au contraire fait l’impasse sur une politique de santé publique. Et puis, toujours dans cette logique du chiffre, mieux vaut punir un vol à la roulotte que les infractions économiques et financières des délinquants en col blanc qui ne sont pas jugées au même niveau. En parallèle, le domaine de l’insécurité a été étendu à l’incivilité, surdramatisée dans les médias, « alors qu’elle n’existe même pas dans le Code pénal », rappelle le juge Sainati .

Loi après loi, les gouvernements successifs ont vidé la police de sa substance républicaine et l’ont transformée en milice au service du maintien d’un ordre injuste. Le pire a été fait sous Sarkozy et Macron, avec dernièrement la réforme Darmanin qui a sacrifié la police judiciaire. Alors qu’elle était organisée au niveau régional, cette dernière a été démantelée et placée sous l’autorité des préfets départementaux tandis que 2 000 postes manquent à l’appel. « On pourrait faire dix fois mieux. C’est une question de choix politique. Tous les agents de la police judiciaire le disent ».

Répression plutôt que prévention et élucidation

Quelques jours à peine après les mobilisations sociales pour lesquelles Retailleau s’est vanté d’avoir mobilisé 80 000 policiers, Jean-Louis Arajol démontre qu’il y a plus de policiers occupés à réprimer la contestation sociale qu’à combattre l’insécurité. La communication misant sur la peur ou mettant en scène des opérations spectaculaires sans lendemain ne parvient pas à cacher son inefficacité. Le développement du « tout caméra » et des moyens technologiques comme la reconnaissance faciale ne peuvent remplacer l’action coordonnée et volontaire de la police et suppléer au manque d’une présence humaine bien formée et bien encadrée pour des actions de terrain. Cela est manifeste dans les domaines de la lutte contre la drogue, mais aussi contre les violences sexistes et sexuelles. Comment comprendre que dans la quasi-totalité des féminicides commis, les victimes avaient déjà demandé des secours et déposé plainte ? Le juge et le policier sont formels : « la vidéo surveillance est un outil qui ne fonctionne que sous certaines conditions. Celle qui est installée en extérieur dans l’espace public est coûteuse et souvent défaillante et mal gérée.»

Privatisation et morcellement des services de sécurité

Signe et vecteur de cette mutation, la fonction régalienne de sûreté a été largement privatisée, et même « éparpillée façon puzzle ». Côté public, on estime à 140 000 le nombre d’agents de la Police Nationale, 100 000 gendarmes, 28 000 policiers municipaux et 7 800 agents de surveillance de la voie publique, avec donc des statuts et des formations très différentes. La création de ces polices municipales a permis l’acceptation de polices parallèles aux mains des maires qui, comme celui de Béziers ou de Montpellier, aiment à jouer les shérifs en faisant les gros bras dans la surenchère de démagogie sécuritaire.

Et maintenant, ce sont les bailleurs qui se dotent aussi de leurs « brigades résidentielles »… Relevant de la SNCF et de la RATP, on peut ajouter environ 4000 agents des polices et de sûreté des transports. La sécurité strictement privée (vigiles, gardiennages, transport de fonds…) comptabilise quant à elle près de 210 000 agents !! Un compte qui fait mesurer la désagrégation de la responsabilité de l’État qui se recentre sur l’unique fonction répressive.

Mais si avec de tels effectifs et de tels moyens technologiques, la sécurité n’est pas assurée, comme en attestent les chiffres officiels de la délinquance, « les pires de notre histoire« , c’est sans doute parce qu’elle est mal conçue. « On ne règle pas les problèmes de sécurité si on en les aborde pas de manière globale », démontre le policier-major à la retraite, c’est-à-dire le contexte social et sociétal, la fracture entre police et population se creusant chaque jour d’avantage. Ce triste bilan a conduit Jean-Louis Arajol à publier fin septembre une tribune en forme de cri d’alarme titrée « Insécurité sociale : il est urgent de changer de modèle et de privilégier le service public ».

Justice en rade

Quant à la justice dont les moyens par habitant sont inférieurs à ceux de la Moldavie, le juge Gilles Sainati donne quelques exemples frappants : au tribunal de Toulouse, 350 fonctionnaires pour 75 000 procédures ! À Montpellier, 3 000 procédures sont en attente et en retard de traitement. La justice est en outre traitée de laxiste, alors que la surpopulation carcérale est patente : 94 000 détenus pour 62 000 places, 135% de taux d’occupation des prisons. Le taux de récidive est passé de 20 à 60%. 180 000 personnes sont censées être suivies en milieu ouvert sauf qu’en réalité, il n’y a pas de suivi de ces personnes qui relèvent pour la majorité d’entre elles de soins médicaux et/ou psychiatriques. Le magistrat ne cache pas le découragement qui s’empare de la profession, surtout quand le plus haut sommet de l’État s’autorise à en contester l’autorité. Entre un ministre de l’intérieur qui met en cause l’état de droit et un président de la République qui reçoit un condamné à la prison, c’est un pas de plus vers le modèle illibéral trumpiste .

Le policier et le juge mettent en garde : «  ce qu’on nous propose à terme, c’est une société telle que celle décrite par Orwell dans 1984». Ils en appellent non seulement à un sursaut déontologique de la part des policiers qui devraient « accomplir leur mission en toute impartialité et avec discernement », mais aussi un sursaut citoyen pour reconquérir le droit à la sécurité tout autant qu’au respect des libertés publiques. L’association « Police, République et Citoyenneté » a produit 60 propositions en ce sens que Jean-Louis Arajol présente dans son ouvrage « Insécurité : État d’urgence ».

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