Responsabiliser les malades : une vieille recette néolibérale pour une santé inégalitaire

François Bayrou et la responsabilisation des malades - Photo - LAB_ PLURIELLE INFO
François Bayrou et la responsabilisation des malades - Photo - LAB_ PLURIELLE INFO

L’annonce faite par François Bayrou autour du budget et de la « responsabilisation des malades » pour faire face au déficit de la Sécurité sociale s’inscrit dans une tradition politique aussi tenace que dangereuse.

L’idée, qui semble de bon sens à première vue — chacun doit veiller à sa santé — dissimule mal une logique néolibérale ancienne : transférer la charge des défaillances structurelles de l’État social vers les individus eux-mêmes. En somme, faire du malade le coupable idéal.

L’individu coupable : une vieille stratégie

Depuis les années 1980, l’idéologie néolibérale s’est appliquée méthodiquement à déconstruire les logiques collectives qui fondaient les politiques publiques, en particulier dans le champ social. Le renversement a été brutal : il ne s’agit plus de penser les problèmes comme relevant de causes systémiques — pauvreté, inégalités sociales, désindustrialisation, conditions de travail — mais comme une succession de défaillances individuelles. L’employabilité a ainsi remplacé l’emploi, la contractualisation a supplanté le droit, et la responsabilisation a envahi tous les champs : social, médico-social, et désormais sanitaire.
Dans cette perspective, le chômeur est responsable de son chômage (il n’a pas su se former, s’adapter, être « mobile »), l’usager des services sociaux doit « s’engager dans son parcours » comme s’il l’avait choisi, et le patient devient un consommateur de soins tenu d’optimiser ses choix et ses comportements. Ceux qui échouent sont donc fautifs : malades parce qu’obèses, diabétiques parce que fainéants, dépressifs, car fragiles, cancéreux faute de prévention. La maladie n’est plus un aléa, elle devient un échec personnel.

L’hypocrisie obscène d’un pouvoir cynique

Il y a dans cette « responsabilisation » une hypocrisie obscène, dont le cynisme explose au grand jour lorsqu’on met en regard les choix budgétaires et législatifs récents du gouvernement. Les mêmes qui prétendent vouloir réduire les dépenses de santé en culpabilisant les malades ont voté, main dans la main avec l’extrême droite, la loi Duplomb, autorisant la réintroduction de l’acétamipride et autres pesticides mortels et destructeurs de la faune et de la flore. Une décision dont les effets sanitaires sont connus, documentés, tragiques : cancers, maladies neurologiques, etc. On parle ici de centaines de pathologies graves, évitables, provoquées en toute conscience par la loi.

Dans le même temps, le gouvernement envisage de réduire la durée de prise en charge des Affections de Longue Durée (ALD), remettant en cause l’un des piliers de la solidarité nationale en santé. En clair, on expose davantage les citoyens aux risques sanitaires, puis on les abandonne une fois malades, en leur faisant porter la faute.

Ce double discours est d’une violence inouïe : d’un côté, on produit de la maladie par des politiques publiques sciemment dangereuses ; de l’autre, on désigne les malades comme des poids économiques à contenir. C’est le même cynisme qui conduit à détruire les hôpitaux publics au nom de l’austérité, puis à blâmer les patients pour la saturation des urgences. Une politique de la maltraitance institutionnelle, organisée par ceux qui feignent de s’inquiéter pour l’équilibre des comptes sociaux.

Une logique systémique de démantèlement

La santé, comme l’ensemble des droits sociaux, est ainsi attaquée par le même front idéologique : celui de l’individualisation des responsabilités. Dans le travail, on a vu la montée des « droits et devoirs » du chômeur, la pression à la reconversion et à la mobilité, la généralisation des dispositifs d’activation. Dans le champ social, les allocataires doivent signer des contrats d’engagement, justifier chaque euro perçu. Dans le médico-social, les usagers doivent s’auto-évaluer, co-construire leur accompagnement, intégrer les dispositifs comme des parcours balisés à optimiser.

Tout est fait pour invisibiliser les causes structurelles des inégalités : l’accès inégal au soin, la désertification médicale, les déterminants sociaux de la santé (logement, alimentation, stress au travail, isolement). Et tout est pensé pour transformer les droits collectifs en prestations conditionnelles, fragmentées, contrôlées, culpabilisantes.

La santé, bien commun ou marchandise ?

Ce que trahit l’annonce de Bayrou, c’est la vision d’une santé marchandisée, dans laquelle les citoyens ne sont plus des assurés solidaires, mais des clients à surveiller. Derrière cette évolution se profilent de puissants intérêts privés — assurances, groupes pharmaceutiques, cliniques privées — qui n’ont jamais cessé de lorgner sur les milliards que représente notre système solidaire.

C’est aussi le signe d’un effondrement politique : celui d’un État qui, au lieu d’organiser la justice sociale, choisit de faire porter à chacun le poids de ses renoncements et de ses choix scandaleux. Plutôt que de cesser le versement d’aides publiques aux entreprises (211 milliards) ou de réformer les niches les plus injustes, on préfère s’attaquer aux malades.

Responsabiliser les malades, c’est abandonner l’idée même de solidarité. C’est oublier que la santé est un droit, et non une récompense. C’est faire comme si l’on choisissait d’être malade, comme si les accidents, les virus, les conditions de travail, les pollutions ou les déterminants sociaux n’existaient pas. C’est, enfin, faire le jeu d’un capitalisme cynique qui veut, encore et toujours, réduire l’État à la gestion comptable des plus vulnérables, pendant que les profits explosent.

À nous de refuser cette logique. À nous de réaffirmer que la santé est une affaire collective, un commun à défendre, un pilier de la dignité humaine.

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