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Une commune sans gare face à une dette d’un million d’euros envers la SNCF

Illustration SNCF Réseau - Photo - PLURIELLE INFO
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La petite commune de Couville, située dans la Manche, se retrouve confrontée à une situation financière délicate. Depuis treize ans, SNCF Réseau lui réclame la somme de 1,1 million d’euros pour des travaux effectués sur la ligne Paris-Cherbourg qui traverse le territoire communal sans y marquer d’arrêt.

Cet imbroglio financier soulève des questions sur la répartition des charges entre SNCF Réseau et les collectivités locales.

Des lignes d’intérêt local ou régional ?

La régénération du réseau ferroviaire français nécessite une enveloppe de 2,8 milliards d’euros par an, avec une augmentation prévue d’un milliard d’euros supplémentaires dès 2027, précisent les informations financières du groupe SNCF. Bien que l’État et SNCF Réseau assurent la majeure partie de ce financement, les collectivités locales, y compris les communes, peuvent être sollicitées pour des contributions spécifiques, notamment lorsqu’il s’agit de lignes d’intérêt local ou régional. Reste à définir cet intérêt…

Déjà en amont de l’entretien des lignes,  les collectivités participent à leur réalisation. Ainsi, dans le département de l’Hérault, plusieurs collectivités participent financièrement à des projets ferroviaires, notamment dans le cadre de la Ligne Nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) au motif que ce projet serait fait pour améliorer les liaisons ferroviaires entre Montpellier et Perpignan, avec une première phase entre Montpellier et Béziers. Ces collectivités, en collaboration avec l’État et l’Union européenne, contribuent au financement de la phase 1 du projet, estimée à 2,04 milliards d’euros. Le protocole d’intention de financement signé le 22 janvier 2022 prévoit une répartition des coûts comme suit : 40% pour l’État, 40% pour les Collectivités locales et 20% pour l’Union européenne.

La Société de Financement de la LNMP (la SLNMP), créée par ordonnance le 2 mars 2022, est chargée de gérer la participation financière des collectivités territoriales. Elle regroupe 11 collectivités : Région Occitanie, Département de l’Hérault, Département de l’Aude, Département des Pyrénées-Orientales, Montpellier Méditerranée Métropole, Sète Agglopôle Méditerranée, Hérault Méditerranée Agglomération, Béziers Méditerranée Agglomération, Le Grand Narbonne, Carcassonne Agglo, Perpignan Méditerranée Métropole.

Carole Delga et Philippe Vidal aux commandes de la gestion

Comprendre : la SLNMP a pour mission de gérer la participation financière des collectivités territoriales, de lever des emprunts et de collecter une taxe spéciale d’équipement pour contribuer au financement du projet.

Savoir : le conseil d’administration de la SLNMP est composé d’un représentant de chacune des 11 collectivités territoriales et se réunit au moins une fois par semestre. Carole Delga, présidente du Conseil régional d’Occitanie, a été élue présidente du conseil d’administration lors de sa réunion d’installation le 29 septembre 2022. Philippe Vidal, vice-président du département de l’Hérault, délégué à l’aménagement du territoire, a été élu vice-président. À noter que cet élu est cadre SNCF.

LNMP, qui paiera l’entretien et de la régénération ?

Sachant que l’aqueduc du Trotte-Bœuf, situé à Couville dans la Manche, est un ouvrage d’art ferroviaire qui permet au ruisseau éponyme de passer sous la ligne de chemin de fer reliant Paris à Cherbourg. Sachant qu’en 2011, des signes d’affaissement de l’aqueduc ont été détectés, nécessitant des travaux de rénovation entrepris par SNCF Réseau entre 2017 et 2018; Sachant que ces travaux, d’un coût de 1,1 million d’euros, ont fait l’objet d’un litige entre la SNCF et la commune de Couville quant à la responsabilité financière de l’entretien et de la réparation de l’ouvrage ; Sachant que la SNCF a estimé que la commune doit assumer ces frais, tandis que la municipalité considère que l’aqueduc fait partie intégrante de l’infrastructure ferroviaire et que son entretien incombe donc à la SNCF … Quid de l’entretien et de la régénération de la Ligne Nouvelle Montpellier-Perpignan ?

On peut légitimement poser cette question à la présidente du conseil d’administration de la SLNMP, surtout si un jour le viaduc de Poussan venait à montrer quelques signes de faiblesse ou de dégradation.

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Retour dans la Manche : ainsi, bien que ces travaux concernent une ligne ferroviaire d’intérêt incontestablement national, la facture a été envoyée à la commune de Couville, au motif que la voie traverse son territoire. Cette décision repose sur des règles administratives qui, dans certains cas, font porter une partie des charges aux communes. Cependant, Couville ne dispose pas de gare et ne bénéficie directement d’aucun service ferroviaire, ce qui rend cette facture particulièrement contestée. Ce qui sera le cas des communes qui pourront contempler le viaduc de Poussan, si un jour celui-ci voit le jour.

Dette colossale pour une petite commune

Avec un budget annuel d’environ 820 000 euros, Couville, qui compte à peine plus de 1 200 habitants, se trouve dans l’incapacité de régler une telle somme. La dette réclamée représente plus d’une année entière de fonctionnement. Cette situation paralyse également d’autres projets municipaux, comme l’amélioration des infrastructures scolaires ou la modernisation des équipements communaux.

Un jugement en appel très attendu et à surveiller le 17 janvier 2025

« La SNCF ne lâchera rien. Le but est de ne pas faire de future jurisprudence, si la SNCF était condamnée et que ça arrive dans une autre commune », confie Sédrick Gourdin, maire de de Couville à France 3.

Alors tout l’acharnement de la Société National de Chemin de Fer serait bien une question de bourse. La maison mère SNCF SA, société anonyme détenue à 100 % par l’État français, veille au grain. Après un premier jugement rendu en faveur de Couville par le tribunal administratif, SNCF Réseau, filiale en charge des infrastructures, a décidé de faire appel, et l’affaire a été examinée par la Cour administrative d’appel le 19 décembre 2024. Lors de l’audience, le rapporteur public a estimé que SNCF Réseau n’avait pas présenté d’éléments nouveaux pour justifier sa demande, réaffirmant ainsi les conclusions du tribunal de première instance. Le débat technique s’est concentré sur l’aqueduc du Trotte-Boeuf et la distinction entre ses différentes structures, sans qu’aucun argument décisif ne soit avancé par SNCF Réseau.

La décision finale a été mise en délibéré au 17 janvier 2025, moment  clé pour les habitants de Couville et décisif pour la jurisprudence. Si la cour d’appel suit les recommandations du rapporteur public, la petite commune pourra être définitivement libérée de cette dette et retrouver sa capacité d’action pour ses projets municipaux. Dans le cas inverse, toutes les communes où passe un train pourront craindre une menace de plus sur leurs maigres finances. À suivre…