Santé en tension : « on cherche des économies sur le dos des malades »

Santé : Le malade n’est pas une variable d’ajustement - Photo - LAB_ PLURIELLE INFO
Santé : Le malade n’est pas une variable d’ajustement - Photo - LAB_ PLURIELLE INFO

Trois semaines après la manifestation des soignants du samedi 4 octobre à Paris, la priorité est toujours donnée à « la sanctuarisation du système de santé. »

Diane Braccagni Desobeau, infirmière libérale et Présidente du syndicat ONSIL (Syndicat d’infirmières et infirmiers libéraux) reconnaît que « la recherche d’économies est légitime, on est conscients des crises budgétaires, mais le problème c’est la manière de rechercher des économies. »

Il est notamment question du plan de financement de la Sécurité sociale. Dans une lettre ouverte adressée à Stéphanie Rist, la nouvelle ministre de la Santé, Sophie Bauer, la Présidente du SMIL, dénonce l’incohérence « d’une loi de financement de la Sécurité sociale annuelle ».

De son côté, Diane Braccagni Desobeau explique que le budget santé est revu chaque année en fonction des ressources de l’État, mais qu’il faudrait surtout l’adapter aux besoins du terrain.

« Il n’y a pas de CAC 40 avec quelqu’un au fond de son lit. »

« Il faut un plan pluriannuel qui est imperméable à toutes ces incertitudes : instabilité politique, épidémie, etc. Car oui, le budget a été augmenté de 3,6 % en 2025 et devrait l’être de 1,6 % en 2026, mais on est dans une complète dichotomie entre les besoins de la population et le budget qu’on leur propose. Il y a des gens qui vont rester sur le côté », alerte la responsable syndicale.

« Le patient n’est pas une variable d’ajustement. Il faut que le gouvernement entende que la santé est préalable à toute activité humaine. Il n’y a de CAC40 avec quelqu’un qui est au fond de son lit. », rappelle-t-elle.

Une précarisation du système de soin et des rémunérations qui produit une financiarisation de la santé et entraîne les professionnels vers le secteur privé, paradoxalement plus coûteux. « On profite du fait que l’État n’a pas beaucoup d’argent pour démarcher des professionnels de santé mal payés. On leur propose de travailler dans des centres de soins privés et on leur dit : vous serez bien payés, vous n’aurez pas trop de patients. En contrepartie, il y a des conditions d’ultrarentabilité. Beaucoup ont fermé parce qu’ils coûtaient très cher à la Sécurité sociale à cause de fraudes, » souligne Diane Braccagni Desobeau. Et un départ vers une infrastructure coûteuse plutôt qu’un établissement public déserté n’améliore la répartition des soignants, une thématique pourtant chère à l’État.

« Faire 60 km pour accoucher ce n’est pas dangereux ?! » La nécessaire responsabilisation de l’État

À ce sujet Diane Braccagni Desobeau explique que les infirmiers libéraux, contrairement aux médecins, sont régulés, même si elle juge la carte d’installation des infirmiers libéraux « perfectible » au vu des zones inégalement dotées.

Concernant les médecins, cette volonté de régulation, plutôt décriée, est récente (loi Garrot). Il faut mieux repartir, mais ne pas obliger : « on ne peut pas forcer quelqu’un à s’installer là où il n’a pas envie. Les médecins ne s’installent pas parce qu’il n’y a pas d’infrastructures et ça, c’est une responsabilité des pouvoirs publics. L’idéal c’est que le médecin reste dans sa région de formation, mais pour cela il faut un bon cadre de vie pour lui, pour sa famille. Ce sont les infrastructures qui font la vie. »

Elle déplore aussi le « désengagement scandaleux de l’État » face à la nécessaire proximité du soin. Elle ajoute : « avec le regroupement hospitalier, il n’y a plus d’hôpitaux de proximité. C’est un cercle infernal : on ferme les maternités parce qu’on dit : il n’y a pas assez de médecins, que c’est dangereux pour la femme qui va accoucher. Faire 60 km pour accoucher ce n’est pas dangereux ?! Donc on l’hospitalise la veille de l’accouchement, ça fait une journée d’hospitalisation facturée à la sécu. »

2€ la prise de sang, les infirmières ne rentrent pas dans leurs frais

Dans les revendications plus spécifiques : « la rémunération de l’acte infirmier qui n’a pas été revalorisé depuis 16 ans. »  Notamment les petits actes, payés sous le seuil de rentabilité par la CNAM. « Donc certaines infirmières, légitimement, vont refuser des actes à perte comme les prises de sang, 2€ net, qui ne remboursent pas le déplacement ou le stationnement. Et c’est le patient qui paye le prix, qui va devoir faire sa prise de sang au labo, s’il peut se déplacer, ou ne la fera pas. »

Payées au rabais, les infirmières font même l’objet d’une promotion : « On a ce qu’on appelle l’article 11d qui impose que le deuxième acte soit rémunéré à moitié prix. Mais ce deuxième acte, je ne le fais pas à moitié », s’indigne Diane Braccagni Desobeau. Une recherche d’économies pertinente ? Avec 110 000 infirmiers libéraux en France, soit seulement 25 % de l’exercice infirmier, la question se pose.

Des difficultés économiques auxquelles s’ajoutent des conditions de travail difficiles : patients qui s’enchaînent, les rémunérations qui ne suivent pas, plus de vie privée. Quand ils ne quittent pas la profession, la Présidente d’ONSIL note ainsi une fuite des soignants vers l’étranger au Luxembourg ou en Suisse, par exemple.

Plus d’autonomie des infirmiers : au gouvernement d’oser

En parallèle des rémunérations, il est aussi question d’évolution des compétences, notamment sur le traitement des plaies simples. Actuellement, même si le code santé publique autorise les infirmiers à soigner les plaies, elles ne peuvent pas le faire sans l’aval d’un médecin, il n’y a pas d’accès direct. « Dans la réalité, si c’est une personne âgée par exemple, on va le faire, mais normalement, on serait censé lui dire : allez voir le médecin. Et si le médecin traitant n’est pas disponible, on envoie cette personne aux urgences. C’est une perte de temps et une saturation inutile. »

Plus d’autonomie pour les infirmières, c’est une meilleure prise en charge et une diminution des coûts. Alors quels freins à la mise en place ? « Toutes ces délégations de tâches, tous ces changements sont le symptôme d’une transformation du système de santé. Ce sont des habitudes très difficiles à changer. Il y a une espèce de frilosité, surtout des pouvoirs publics. »

Alors que le gouvernement Lecornu II défend son projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, les propos de Diane Braccagni Desobeau sont un avertissement. Derrière l’affichage d’une hausse de 1,6 % des dépenses de santé, c’est en réalité une politique d’austérité qui s’installe. Le budget de l’Assurance maladie, limité à 270,4 milliards d’euros, progresse moins vite que les besoins réels liés au vieillissement de la population. L’hôpital devra assumer 700 millions d’euros d’économies et la médecine de ville se contenter d’une hausse symbolique de 0,9 %. Une rigueur qui, sous couvert de “responsabilité budgétaire”, fragilise un peu plus un système déjà très défaillant.

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