Entre 250 et 300 personnes sur les marches de la défunte place Aristide Briand pour la première assemblée citoyenne « bloquons tout » ce jeudi 4 septembre : bloquer quoi ? Dans quels objectifs ? Avec quelle organisation ? Les idées fusent dans tous les sens avec le souci unanime d’être efficaces, rassembleurs et solidaires.
« Il est important de s’écouter », annonce Fériel, « tirée au sort » pour ouvrir des débats qui se sont avérés fluides malgré le nombre et la grande diversité des intervenant·es. Elle-même très remontée contre « l’entreprise de démoralisation et de spoliation de la mémoire collective » qu’a constitué le déni du résultat des élections législatives de 2024, cette citoyenne non encartée a invité chacun·e à exprimer les raisons de sa colère et les propositions d’action pour Sète.
Les raisons de la colère
La barre est d’emblée placée assez haute « je ne suis pas là pour faire sauter Bayrou » – qui l’a déjà fait tout seul- « mais pour faire sauter tous ceux qui nous emmerdent ; pas faire sauter les fusibles, mais tous les disjoncteurs » déclare une femme, vite suivie d’un homme qui voit dans ce mouvement «une nouvelle lutte des classes » et qui veut faire sauter Macron, « président de l’oligarchie ». Une autre encore « ce n’est pas la dette qu’on laisse à nos petits enfants, c’est une catastrophe sociale et écologique. C’est pour eux qu’il faut renverser ce système qui nous pille pour engraisser les riches et les multinationales ». Une femme : « Je ne vais pas aller manifester. Ils s’en foutent complètement là-haut. Il faut bloquer le système. Ne pas utiliser le portable ni sa carte bleue ni rien acheter ce jour-là ». Sur cette hypothèse plusieurs fois relayée, Bernard répond avec sa voix bien posée « Les grèves de la consommation ne marchent que sur le long terme. Le 10, c’est l’activité qu’il faut bloquer. » L’un n’empêche pas l’autre. Une personne rappelle que les banques se font de l’argent à chaque transaction par carte bleue et qu’il vaut mieux par principe payer en espèces. « Il faut bloquer un maximum de choses représentatives du système qui nous oppresse, qui opprime l’être humain. Je pense aux banques, aux grandes surfaces qui s’engraissent sur le dos des citoyens. Je bloquerais bien aussi la mairie, cette mairie de m**… » confie une militante. Autant de mots qui expriment le niveau élevé d’exaspération de celleux qui assistent impuissant·es à tant d’injustices.
Quoi bloquer et comment ?
« Particularité de Sète : il n’y a que 3 entrées. Si Sète est bloqué une journée, c’est plus marquant » dit l’un, mais un jeune homme s’interroge « bloquer les ponts ou les entrées c’est bien. Mais comment ne pas bloquer ceux qui veulent nous rejoindre ? » ou « les familles avec leurs enfants« . D’autres semblent préférer des opérations escargots en voiture qui semblent plus faciles à mener.
Les propositions ne manquent pas : « il existe à Sète un mouvement citoyen depuis quatre ans pour sauver la place Aristide Briand. Qu’on bloque le chantier de ce parking de la honte le 10 ». Applaudissements.
Une femme, un peu hésitante : « dans quelle mesure c’est possible de bloquer le port ? » tandis qu’une autre suggère de bloquer « la raffinerie de Frontignan » -qui se réduit en réalité à présent à un vaste dépôt de carburant, l’activité de raffinage s’étant arrêté en 1986 -, ce à quoi une jeune femme de l’assemblée citoyenne de Montpellier souligne qu’il faudrait dans ce cas du « renfort ».
Un ancien gilet jaune de Poussan suggère le blocage des caisses du péage – mais pas le flux- comme cela a été fait en 2018, et des blocages sélectifs des camions aux entrées pour ne pas pénaliser les particuliers. Autre option : « Notre président est un banquier. Sur le plan symbolique, ce serait bien d’aller vers les banques, qu’on choisisse ensemble celle qui est la plus pourrie ( même si elles le sont toutes) et qu’on se concentre dessus ». En écho, quelqu’un lui répond sans hésiter « Crédit Agricole, BNP, Crédit Lyonnais ».
La réflexion pour cibler des points stratégiques se poursuit. « il faut viser les moyens d’information aux mains des milliardaires, et aussi là où on fabrique des armes. Parce que ce qu’on nous prépare, c’est la guerre ! » s’écrit une femme très inquiète « Ma priorité, c’est de bloquer cette logique de guerre. Si on se souvient de l’histoire, ça commence toujours comme ça. On nous conditionne et on finit en chair à canon ». La loi Duplomb n’étant pas absente de la colère à l’origine de l’appel du 10 septembre, quelqu’un suggère de s’en prendre à « son véritable auteur« , le président de la FNSEA. Il y a en effet à Sète l’usine SAIPOL, filiale du groupe AVRIL présidé par Arnaud Rousseau. Et puis, dans cette volonté de reprendre la maîtrise de notre avenir, un quinquagénaire suggère de perturber les tournages de DNA (« Demain nous appartient « ) car » derrière, c’est TF1 et le groupe Bouygues ».
Tenir sur la durée
« Le 10 c’est un début. En fait, il nous faut construire le mouvement à partir du 8 septembre. Après, il y a le 10 puis la journée intersyndicale le 18 septembre. » Puis le conseiller départemental Gabriel Blasco reprend : «rien que l’appel pour le 10 a conduit à la décision de Bayrou de demander la confiance et donc d’être destitué. Le 10, ce n’est qu’un début. On ne connaît pas la suite, on peut décider de se retrouver par exemple tous les jeudis pour faire le point des actions ». Une femme rappelle que c’est l’absence d’action concrète qui a conduit à l’essoufflement des « Nuits debout ».
Figure emblématique de la solidarité à Sète, Jo propose de s’inscrire dans le mouvement national des « pots de départ de Bayrou » et invite à se retrouver le lundi 8 devant la mairie pour fêter la chute du gouvernement et pour organiser la suite : les actions du 10 septembre, fabrication de banderoles, de panneau, du matériel. « Attachons-nous à faire circuler de l’énergie combative, joyeuse et positive. Et à nous exprimer haut et fort ». Une responsable syndicale rappelle que de nombreux préavis de grève sont déposés pour tout le mois de septembre. Et puis le « sage » de la politique sétoise, le respecté François Liberti rappelle que le but du 10, « ce n’est pas seulement de bloquer, c’est de convaincre des centaines d’autres personnes de rejoindre le mouvement. Parce que pour gagner, il faut être beaucoup plus nombreux que ça. On n’est pas là pour heurter, pour emmerder les gens, mais pour leur dire : « venez avec nous ». »
Crainte de la répression policière
L’appareil répressif d’état si bien incarné par Retaillau et les médias s’attachent à faire monter un climat de peur, justifiant à l’avance un grand déploiement policier et une forte répression du mouvement. Il est pourtant évident à la vue des assemblées citoyennes en général et celle de Sète en particulier, à l’image d’une ville où 40% de la population est à la retraite, que les potentiel·les bloqueur·ses sont des personnes pacifiques, dépourvues de toute intention violente. Pas de black bloc ici, sauf si la police décide d’en envoyer. Echaudé·es par l’expérience des Gilets Jaunes, celle du mouvement contre la réforme des retraites et la violente répression à Sainte-Soline ou contre les résistant·es à l’A89, les futurs acteur·trices des blocages du 10 septembre s’inquiètent de la répression annoncée. Un opposant au parking Aristide Briand témoigne avoir encore des séquelles d’un coup de matraque sur la main tandis qu’une femme assez âgée craint d’être à nouveau gazée : « il faut penser à s’équiper, prendre des protections », souligne-t-elle. Des informations pratiques et juridiques seront données pour se protéger et se défendre. Chacun·e est conscient·e du frein que constituent les menaces du ministère de l’Intérieur et d’un pouvoir aux abois. La meilleure réponse, c’est d’être très nombreux. Car si la mobilisation est forte partout en même temps, « ici, à Frontignan, à Montpellier, à Bézier… », François Liberti souhaite « bien du plaisir au préfet pour savoir où il va mettre ses CRS . Si on est peu nombreux, isolés, il pourra nous matraquer. Si on est forts, nombreux partout, solidaires, organisés, nous serons en sécurité. »
Une agora à 300, ce n’est pourtant pas un exercice évident, mais tout le monde a pu s’exprimer dans un climat de bienveillance et de détermination, de bon augure pour les rendez-vous suivants. L’enjeu du 10 septembre est là : reprendre collectivement et démocratiquement le pouvoir sur nos vies et nos choix.
[VIDEO] interview de François Liberti :
Présent ce jeudi au rassemblement, François Liberti, ancien député et ancien maire de Sète, analyse la mobilisation des 8 et 10 septembre et la chute annoncée de François Bayrou. Pour lui, le « 8 » n’a pas affaibli le mouvement, au contraire : « il accentue la colère et la détermination de ceux qui considèrent qu’aujourd’hui trop c’est trop ». L’ancien parlementaire dénonce l’injustice d’un système où « ceux qui amassent des fortunes colossales sur le dos de la population » échappent à l’effort de solidarité et au financement des services publics. Pour lui, la date du 10 septembre marque le début d’un processus à poursuivre, avec une nouvelle étape prévue le 18 à l’échelle nationale avec les syndicats. Concernant Bayrou, il incarne « la faillite d’une classe politique » qui a méprisé les urnes et l’opinion. « Qu’il parte ne résout pas le problème. C’est le système même qu’il faut faire bouger » explique François Liberti.
