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Le ministre de l’Intérieur méconnaît le principe de laïcité

Nicolas Cadène ancien rapporteur général de l'Observatoire de la Laïcité - Photo - DR
Nicolas Cadène ancien rapporteur général de l'Observatoire de la Laïcité - Photo - DR

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a affirmé dans plusieurs médias que, « pour protéger la laïcité« , il fallait « interdire le port du voile à l’université et lors des sorties scolaires« . Outre que ce sujet ne relève pas du champ de sa compétence, ce ministre méconnaît le principe de laïcité puisque ces propositions vont à l’encontre de ce principe qui est une valeur constitutionnelle.

En effet, la laïcité suppose la neutralité de ceux qui exercent un service public, PAS des autres. Cela pour garantir l’égalité et la même liberté de tous (dès lors qu’aucun trouble n’est causé).

Ce que dit ici ce ministre prouve une méconnaissance de la laïcité française. Ce qu’il défend serait CONTRAIRE à la laïcité.

D’une part, à l’inverse de ce qui est dit dans son interview, la loi de 2004 ne concerne absolument pas que « dans l’école ». Elle concerne les élèves, en situation d’élèves, dans l’école ET hors de l’école, pendant les sorties scolaires par exemple.

D’autre part, la loi de 2004 ne concerne QUE les élèves puisqu’une forte discrétion leur est imposée (pas de signes/tenues religieux ostensibles) parce qu’ils sont en phase d’apprentissage des bases du savoir, pour qu’ils développent leur esprit critique sans influences extérieures.

Les parents ne sont pas des élèves, sont majeurs, disposent de tous leurs droits. Ils ne sont donc pas soumis à la loi de 2004.
Ils ne sont pas non plus soumis à la neutralité, que la laïcité ne suppose que pour ceux qui exercent un service public ou représentent l’administration (tout cela, le Conseil d’État, que le ministre ne semble guère respecter, l’a déjà rappelé plusieurs fois).

En effet, les parents-accompagnateurs de sorties scolaires ne font qu’aider ponctuellement et bénévolement, pour assurer des montées dans des bus ou des traversées de rues de manière sécurisée par exemple.
Ils n’exercent pas le service public de l’éducation nationale. Ainsi, ils ne peuvent aucunement commenter un tableau dans un musée visité par exemple. Cela, c’est le rôle des professeurs qui, eux, sont soumis à un strict devoir de neutralité.

Et si les parents ont un comportement prosélyte ou troublant d’une quelconque manière la bonne organisation de la sortie, il peut déjà leur être interdit toute participation.
Ici, le ministre confond, de plus, la loi de 2004 qui s’applique aux élèves, et la neutralité globale qui s’applique aux agents publics.

Il voudrait étendre la loi de 2004 à des adultes majeurs ayant déjà acquis les bases du savoir et pouvant parfaitement et librement choisir leurs convictions.

De plus, jamais la commission Stasi, à l’origine de la loi de 2004, n’a voulu que celle-ci s’applique à l’université.
Ça n’aurait aucun sens, car cette loi se justifie parce que les élèves sont mineurs (sauf exception) et en situation d’apprentissage des bases du savoir, donc à préserver d’influence.

Il faut que cesse ce discours selon lequel, pour « respecter » la laïcité, il faut étendre la neutralité ou l’interdiction de certains signes. Ce serait tout l’inverse qui se produirait.

La laïcité ASSURE la liberté de conscience (article 1er de la loi de 1905).
La neutralité qu’elle suppose n’est que pour ceux qui exercent le service public, POUR justement permettre que tous les citoyens, libres d’exprimer des convictions ou croyances (sans causer de trouble), soient traités à égalité.

Ce type de mesures ne ferait que renforcer l’assignation à une identité, les replis communautaires, les retraits de la communauté éducative républicaine et du monde universitaire.
Ce serait faire l’INVERSE de ce qu’ont toujours défendu les premiers partisans laïques français.
Ce type de mesures serait un très mauvais coup donné à la laïcité.

Que l’on cesse ainsi de l’instrumentaliser à des fins politiciennes, de la tirer dans tous les sens au gré d’opinions supposées majoritaires, mais qui ne le sont aucunement dès lors qu’on a le courage d’exposer le sujet avec précisions.

* Nicolas Cadène est haut fonctionnaire, membre de la « Vigie de la laïcité » et ancien rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité présidé par Jean-Louis Blanco et dissout en avril 2021 par le gouvernement Castex.
Tweet Bruno Retailleau sur la laïcité
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