Jean-Luc Mélenchon à Montréal : une conférence pour la révolution citoyenne

Jean-Luc Mélenchon à Montréal : une conférence pour la révolution citoyenne 15 avril 2025 - Photo - PLURIELLE INFO
Jean-Luc Mélenchon à Montréal : une conférence pour la révolution citoyenne 15 avril 2025 - Photo - PLURIELLE INFO

Standing ovation et amphithéâtre complet à l’université McGill de Montréal pour écouter la conférence de Jean-Luc Mélenchon, en tournée nord-américaine pour la sortie anglophone de son livre : « Faites mieux ! La révolution citoyenne. »

En introduction, une jeune militante insoumise confie que le livre du co-président de l’Institut La Boétie lui a permis de « s’extraire de la culpabilité du manque de sens » et « à transformer ma frustration et ma colère en action. »

Un manifeste pour une société du bien commun, contre l’obscurantisme marchand

Au cœur de l’intervention de Jean-Luc Mélenchon : le refus de la « privatisation du savoir, de l’eau, de l’air et de la Nature. » Ces « biens communs » doivent impérativement « échapper aux logiques marchandes du capitalisme. » Un capitalisme qu’il qualifie de « féodalo-capitalisme ». C’est-à-dire un système qui impose des péages numériques et confisque la liberté intellectuelle à travers l’appropriation massive des productions humaines par les géants de la Tech. Pour le leader des insoumis, il faut « protéger la noosphère », de l’obscurantisme marchand « le droit d’accès au savoir est un enjeu de la lutte […] l’intelligence collective ne doit pas être privatisée. »

Jean-Luc Mélenchon alerte « l’aliénation ne se limite plus au travail, elle s’exerce désormais à travers les réseaux essentiels, transport, santé, numérique… » qui conditionnent l’existence quotidienne et auxquels personne ne peut échapper. Leur contrôle public et citoyen devient, pour lui, une priorité politique, car « s’il y a crise, c’est que les biens communs ne sont pas respectés. »

Réinventer la démocratie à l’ère de la crise écologique

Obsolescence des logiciels politiques du XXe siècle ? C’est une évidence et il appelle à refonder la pensée progressiste sur les enjeux suivants : l’urgence écologique, la justice sociale et la souveraineté populaire. Il avait déjà prévenu la veille à l’Union Française : « ce n’est pas un parti révolutionnaire que nous souhaitons, c’est un peuple révolutionnaire ! » Il l’affirme aujourd’hui à l’université, « la révolution citoyenne ne consiste pas seulement à voter, mais à reprendre collectivement le pouvoir sur l’organisation sociale. » Puis il alerte : « le capitalisme de croissance infinie est un suicide collectif. » Il y a donc une urgence pour les insoumis·es : installer une société de sobriété solidaire et de partage équitable des ressources.

Le droit du sol contre les logiques tribales

Jean-Luc Mélenchon a opposé deux conceptions du monde : celle du droit du sang, qu’il associe à une vision tribale, héréditaire, excluante ; et celle du droit du sol, qu’il érige en fondement de la citoyenneté républicaine. « Il y a la cité, où tout le monde vote, où tout le monde est citoyen et il y a la tribu, l’ordre, la transmission par le sang. » Par cette démonstration historique et politique, le leader insoumis insiste sur le fait que le droit du sol garantit l’égalité et la liberté, car il place l’appartenance à la communauté politique non pas dans les origines, mais dans la participation. À l’inverse, le droit du sang perpétue les inégalités, les exclusions, et réduit les femmes à des matrices au service de la reproduction de la lignée. « Le corps des femmes a toujours été la frontière des tribus », lance-t-il. Il dénonce ainsi les logiques identitaires comme des instruments de domination, contraires à l’idéal républicain d’émancipation. Puis il rappelle en guise d’encouragement : « quand on naît, on arrive, on crie le poing fermé, c’est un bon début, non ? »

La joie naît de la puissance d’agir

Si parfois dans ses propos, Jean-Luc Mélenchon sait mettre la nuance du sourire, il sait aussi y mettre la puissance du propos. Université oblige, Spinoza s’est invité dans sa conférence. « La plus grande force des êtres humains, c’est leur capacité à apprendre et à être solidaires », une idée directement inspirée du philosophe, où la joie naît de la puissance d’agir, et la puissance d’agir de la connaissance partagée. Pour l’auteur de « Faites mieux », Spinoza incarne la rationalité éclairée, la rigueur intellectuelle opposée aux passions tristes et à la résignation : « la puissance d’agir, c’est-à-dire la vertu, est la véritable liberté. » Dans un monde menacé par « l’ignorance organisée et le repli identitaire », il voit dans cette philosophie un appel à l’autonomie, à la lucidité et à « l’effort collectif de compréhension du réel. »

Un appel à la paix et au non-alignement

Comprendre le réel avec l’équation Mélenchon, c’est « sortir de l’obsession du conflit » et faire de la paix une condition fondamentale de la reconstruction démocratique mondiale, pour « trouver un chemin de raison. » Mais encore faut-il identifier l’obsédé en chef. Jean-Luc Mélenchon a mis en garde contre toute tentation de réduire Donald Trump à une figure fantasque ou ignorante. « Attention, ce n’est pas une buse », a-t-il lancé à l’amphi. « Il suit un plan cohérent », car l’économie des États-Unis est « en déclin structurel » : leur domination monétaire, fondée sur le dollar, vacille ; leur dette publique atteint des sommets ( environ 36,22 trillions de dollars américains ) ; leur production industrielle est fragilisée par la mondialisation qu’ils ont eux-mêmes façonnée. D’où s’explique cette stratégie trumpiste : organiser une forme de repli, relocaliser à marche forcée l’économie, imposer des droits de douane, faire payer leurs « alliés », et surtout préparer l’affrontement avec la Chine, identifiée comme l’adversaire systémique à neutraliser. « Il y a une crise de la domination des États-Unis sur le monde. S’ils ne font rien, ils auront perdu, » explique ainsi le co-président de l’Institut La Boétie, mais ce qu’ils tentent de mettre en oeuvre conduirait à la catastrophe.

La politique de guerre commerciale de Trump, ses pressions sur les membres de l’OTAN pour qu’ils consacrent 5 % de leur PIB à l’armement, son sabotage des traités multilatéraux : pour le leader insoumis, tout cela procède d’une « logique impérialiste de survie », et non d’un caprice isolé. En moquant les « toutous européens » qui acceptent les exigences américaines sans sourciller, Jean-Luc Mélenchon dénonce l’absence d’une voix indépendante de l’Europe.

Au cœur de l’esprit et à l’esprit du cœur

Le lien indissociable entre connaissance et responsabilité politique était au centre de la réflexion portée par cette conférence. « On a besoin d’une conviction profonde qui a le cœur de l’esprit et a l’esprit du cœur pour savoir à quel point la révolution citoyenne, c’est-à-dire la reprise du contrôle sur la société, est un objectif impératif. » Jean-Luc Mélenchon délivre à Montréal ce mardi un message direct : « L’engagement, c’est le prix du savoir. Quand on sait, on ne peut plus détourner les yeux. » Il appelle à l’action, à la vigilance intellectuelle et à la construction patiente de nouveaux outils politiques. Une tâche exigeante, mais incontournable pour qui refuse la résignation.

Pour terminer, Jean-Luc Mélenchon prévient : « la guerre est un atout pour le capitalisme », la logique des conflits, qu’ils soient commerciaux, technologiques ou militaires sont devenues des moteurs cyniques d’enrichissement pour les puissances dominantes. À ses yeux, « ce désordre du monde » n’est pas une erreur de parcours, mais bien une stratégie de maintien de l’ordre économique établi. La course à l’armement est la quintessence du capitalisme puisqu’il s’agit de faire payer aux peuples une production autodestructive à renouveler sans fin, au bénéfice d’une poignée d’oligarques.

Face à cela, il affirme : « je ne crois qu’aux élections pour changer le monde », mais il avertit aussitôt contre les illusions de votes supposés utiles : « Voter pour le moindre mal, c’est toujours le mal ». Une citation qu’il emprunte à Hannah Arendt : « ceux qui optent pour le moindre mal tendent très vite à oublier qu’ils ont choisi le mal » et qu’il fait sienne pour rejeter l’illusion de possibles compromis avec ce « féodalo-capitalisme », devenue un piège récurrent à toute volonté de changement radical qu’impose désormais une société à l’agonie.

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