Corrida : moins de sentiments, plus de chiffres

Taureaux et corridas - Photo - Syldavia
Taureaux et corridas - Photo - Syldavia

On lit actuellement beaucoup de publications concernant la corrida. Elles font suite aux propos outranciers d’un édile de Béziers. Je ne le citerai pas, à quoi bon lui donner la publicité qu’il affectionne ?

Plutôt que d’en appeler aux sentiments, même si cela semble légitime en matière de respect de la vie animale, peut-être suffit-il de rappeler quelques chiffres. Ils expriment sans détour l’avis des citoyens dans leur ensemble, à Béziers comme ailleurs.

Une pratique qui régresse dans ses territoires d’origine

La corrida est désormais rejetée par environ 75 % de la population (79 % chez les moins de 35 ans), en France selon un sondage de l’IFOP et de 30 millions d’Amis de février 2024. Ce chiffre était de 50% en 2007, puis de 66% en 2010, avant d’atteindre près de 77% aujourd’hui.

Elle est aussi largement sujette à discussion en Espagne. Le cas espagnol est exemplaire. Car ce pays est considéré à juste titre comme le berceau millénaire de cette pratique, même si sa forme actuelle ne date que du 18e siècle. En Catalogne, donc notamment à Barcelone, les corridas ont été bannies depuis 2012. En théorie, le tribunal constitutionnel a annulé cette décision (de peur probablement d’une éventuelle contagion à l’ensemble du pays), mais les corridas n’ont pas été réintroduites tout simplement parce qu’elles ne concernent qu’une minorité.

Seuls 5,9 % des Espagnols ont assisté à une corrida en 2024, selon les statistiques du ministère de la Culture. Ainsi, selon un sondage, rapporté par la Fondation Droit Animal, “... si 62,2 % des Espagnols portaient un intérêt quasi nul à la tauromachie (de 0 à 2 sur une échelle allant jusqu’à 10), cette proportion montait à 82,7 % en Catalogne. L’intérêt des Catalans pour la corrida était en moyenne de « 1 » sur 10.” Aux Baléares, la mise à mort est désormais interdite. Les toreros pourront toréer seulement munis de leur cape, et sans « aucun instrument pointu susceptible de produire des blessures et/ou la mort du taureau« .

Dans les pays d’Amérique du Sud où la corrida avait été importée depuis des siècles par les Espagnols, elle a déjà été rejetée en très grande partie. Au Chili, en Argentine, en Uruguay, au Paraguay et à Cuba, la corrida est interdite. L’équateur et le Venezuela pourraient les rejoindre bientôt. Et Mexico l’interdit désormais comme une partie du Mexique.

Une tradition millénaire depuis… 1968

En France, cette pratique n’a jamais fait l’unanimité ni suscité l’intérêt d’une large majorité de la population. Mais après tout, cela peut être le cas de bien d’autres activités.

C’est parfois une pratique très récente, y compris dans les villes qui l’arborent comme une tradition. Les arènes de Béziers, par exemple, ont été construites en 1897, date qui serait celle de la première corrida.
Et la féria, présentée comme tradition immémorielle, a connu sa première édition en… 1968.

On peut comparer cette “tradition” avec d’autres voisines d’Occitanie. À Sète, les Joutes se perpétuent sans discontinuer depuis le 29 juillet 1666, date de lancement de la construction du port.
Les feux de la Saint-Jean, les Brandons de Luchon, la Sant Jordi, et bien d’autres, datent toutes de l’antiquité ou du moyen âge. Alors 1968, c’est jeune.

Cette façon de mettre en avant une “tradition” dite centenaire a été parfaitement étudiée et documentée par certains historiens, tels que Eric Baratay (revue d’histoire moderne et contemporaine, 1997, “Comment se construit un mythe : la corrida en France au 20e siècle”). L’article est lisible par tous, et il est difficile de faire plus argumenté et étayé.

On doit probablement voir dans cette réécriture l’envie de masquer la fonction commerciale et festive des férias, derrière un vernis plus culturel. Mais pourquoi le faire ? Après tout, nul ne conteste qu’il puisse être important de se rassembler et de faire la fête.

Nul ne conteste non plus qu’il existe une tradition taurine bien réelle en Occitanie, comme celle de la Bouvine, qui met en valeur tout à la fois le Taureau et ses très courageux adversaires humains. (Taureau qui alors ne meurt pas, et qu’il ne faut surtout pas blesser).

Graver dans le marbre qu’il faille désormais faire la fête autour d’un sacrifice rituel n’est pas forcément une nécessité. D’autant que les férias savent parfaitement s’articuler autour d’autres pratiques traditionnelles non létales.

Dans les villes concernées par cette “tradition”, est-ce que la population soutient encore la corrida sous sa forme actuelle ? Pas sûr.

Qu’en dit la population des villes “de tradition taurine” ?

Les villes dites « de tradition taurine » sont peu nombreuses. Rappelons que la corrida est théoriquement interdite en France suite à la loi Grammont de 1850 (sur la souffrance animale). Mais qu’elle est tolérée dans les régions “de tradition taurine”.
Que pensent les habitants des villes qui pratiquent encore la corrida ? Selon un sondage de Sud Radio / IFOP, les habitants rejettent l’accès aux corridas pour les moins de 13 ans à 63 %. Et même à 72 % à Béziers.

D’ailleurs, il faut noter qu’au Portugal, autre pays où cette pratique est ancrée depuis des siècles, l’âge minimal d’accès aux corridas a été ramené à 12 ans, puis à 16 ans en 2021. Une interdiction aux moins de 18 ans est à l’étude en Espagne.

On peut se demander si la ville de Béziers soutient toujours l’école taurine, les initiations à la tauromachie dans les centres de loisirs, la gratuité et les tarifs préférentiels des places de corrida pour les enfants ? En tout cas, le maire semble avoir un avis différent de celui de ses concitoyens …

Dans ces villes, désormais assez isolées du reste de la population nationale et internationale, les habitants eux-mêmes souhaitent la suppression de la mise à mort à 61 %. C’est aussi une pratique générationnelle : 75% des plus de 65 ans y auraient déjà assisté, contre seulement un tiers des moins de 24 ans.

Ainsi, qu’un édile isolé, s’opposant à l’immense majorité de la population française et européenne, s’opposant parfois à sa population, mène un combat d’arrière-garde… What else ? Il semble que le progrès est déjà en marche et suivra son cours. Le fait de s’y opposer avec outrance est un aveu de faiblesse.

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