La filière équine serait-elle mise en danger par un remaniement piloté par l’État ? C’est un signalement en vertu de l’article 40 qui relance une affaire qui a démarré il y a plusieurs mois concernant le mode de distribution des aides publiques à cette filière. Le 24 janvier 2025, Nadia Belaouni, conseillère municipale d’Aimargues et conseillère communautaire de la Petite Camargue, adresse un signalement à Cécile Gensac, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Nîmes.
Dans ce courrier, l’élue gardoise exprime ses préoccupations concernant la création de la Fédération des Équidés de Races Locales (FERL). Et souligne que la FERL pourrait être à l’origine de recel de délits de favoritisme à travers la création d’une association transparente. Créée sous l’impulsion de l’IFCE (Institut français du cheval et de l’équitation) et du ministère de l’Agriculture, cette nouvelle fédération semblerait avoir pour objectif de reprendre en main la distribution des subventions en contournant les règles établies collectivement par les acteurs de la filière.
Quelques jours à peine et l’affaire rebondit déjà dans tous les sens. Selon nos sources, dès cette semaine, une fonctionnaire du ministère de l’Agriculture rassurerait dans un mail, la FERL en affirmant que pour elle, il n’y a pas d’article 40 qui pourrait être pris en compte par la DGPE (Direction générale de la Performance économique et environnementale des entreprises.) Une fébrilité qui semble en dire long.
Flash-back : retour sur l’histoire d’une filière qui trouve un second souffle, la Société Française des Équidés de Travail (SFET)
Depuis plus de dix ans, la filière des chevaux de trait en France semblait avoir trouvé un second souffle. Une renaissance initiée par la structuration d’un parcours d’excellence et un marché d’exportation vers le Japon qui s’est traduit par une relance significative des naissances. Mais depuis 2022, le vent a commencé à tourner. Un bras de fer oppose aujourd’hui l’État à la Société Française des Équidés de Travail (SFET). En jeu : des millions d’euros de subventions, des accusations de gestion opaque, et une tentative de reprise en main par l’Institut Français du Cheval et de l’Équitation (IFCE). En filigrane, le risque de disparition de toute une filière.
Délaissée dans les années 2000, la filière des chevaux de trait a repris des couleurs grâce à un système basé sur la valorisation des races, des concours de sélection et un marché d’exportation très prometteur. L’ouverture du marché japonais a créé une dynamique commerciale : la viande chevaline y est considérée comme un produit de luxe, se vendant presque aussi cher que le bœuf de Kobe. Comprendre que le bœuf de Kobe est le steak le plus cher du monde. Il peut être vendu en 190 et 500 euros le kilo. Cette manne financière a permis de relancer la filière, multipliant par trois le prix de la viande et par deux celui des chevaux d’attelage.
Pour assurer cette structuration, la SFET, créée à la demande du ministère de l’Agriculture en 2012, a mis en place un système de labels et de concours, financés en grande partie par des subventions publiques et des fonds privés. Le logiciel de gestion de la filière devient un outil central qui permet de suivre les élevages, la traçabilité génétique des animaux et la redistribution des subventions. Si la SFET a prospéré pendant des années, des tensions internes ont commencé à apparaître en 2022. Trois associations membres, pourtant fondatrices, ont commencé à réclamer une plus grande part des subventions, contestant leur affectation aux concours et labels. Ces tensions ont abouti à des accusations de fraudes et de fausses factures, menant à une scission au sein de la filière. Une partie des membres fondateurs a quitté la SFET et s’est rapprochée de l’IFCE, qui a vu dans cette crise interne une opportunité pour reprendre la main.
L’État décide de reprendre la main
Tout bascule en 2022. Marc Fesneau, alors ministre de l’Agriculture, et son directeur de cabinet, Sylvain Maestracci, commencent à demander des informations financières à la SFET. D’abord anodines, ces demandes deviennent insistantes. Administrativement procrastinateur, le monde agricole ne perçoit pas immédiatement la menace et répond maladroitement, parfois par le silence. En septembre 2023, le ministère de l’Agriculture dépose un signalement au titre de l’article 40, supposant des irrégularités dans la gestion de la SFET. Un coup de massue pour la filière, qui voit alors ses subventions gelées. Ce gel des aides a un impact immédiat : la SFET, qui finance les concours et les labels, se retrouve à assumer seule les coûts. Pendant des mois, elle compense par ses fonds propres, mais la situation devient intenable. L’IFCE, qui était jusqu’alors simple organisme de tutelle, tente de récupérer le contrôle de la filière en incitant les associations de races à créer une nouvelle fédération sous son égide.
Délit d’association transparente ?
La pression s’intensifie. Le ministère pousserait les associations de races à quitter la SFET et à rejoindre la nouvelle structure, sous peine de perdre leurs subventions. La majorité d’entre elles refuse. En réponse, l’État crée une nouvelle fédération, la FERL, avec seulement 13 % des acteurs de la filière. Cerise sur le gâteau : les statuts de cette nouvelle entité ont été rédigés par un avocat payé par l’IFCE et le ministère. Preuve tangible d’une infraction au droit, qui pourrait relever du délit d’association transparente, qui interdit à l’État de créer une association de droit privé tout en la contrôlant indirectement.
Résultat, aujourd’hui, la SFET est au bord de l’asphyxie. Les subventions sont toujours bloquées, les éleveurs sont abandonnés à leur sort. Pire, le Fonds Éperon, principal financeur privé de la filière, risquerait de suspendre ses versements sous pression de l’État.
Parmi les acteurs clés de la SFET, Thierry Trazic, président bénévole de l’association et membre du CA des chevaux de Camargue, se retrouve en première ligne du combat. Aux côtés de Pierre-Yves Pose, pionnier du parcours d’excellence et de l’exportation vers le Japon, ils tentent tant bien que mal de défendre leur modèle économique face aux manœuvres de l’IFCE. Y a-t-il une tentative de démantèlement orchestrée contre la Société Française des Équidés de Travail ? « On essaie d’avoir des entretiens, on essaie d’avoir des rencontres pour échanger et faire avancer les choses et puis on se rend compte que c’est bloqué », note Thierry Trazic. Apparemment, ce serait des conflits entre organismes de sélection, des OS minoritaires qui perturbent l’équilibre du secteur, menaçant la stabilité d’une organisation comme la SFET qui fédère 95 % de la filière.
[VIDEO] Interview avec Thierry Trazic et Nadia Belaouni :
Tourmente juridique ?
L’IFCE entre-t-il dans une tourmente juridique autour de la FERL ? Un courriel interne pourrait révéler des irrégularités potentielles dans le rôle joué par l’IFCE (Institut français du cheval et de l’équitation) dans la création de la FERL, une fédération équestre en gestation. En effet l’IFCE aurait pris en charge les frais d’avocats de la FERL alors que cette dernière n’existait pas encore juridiquement, ce qui soulève des doutes sur l’usage des fonds publics et un possible détournement de procédure budgétaire. Une affaire à suivre donc !
Même si l’auteur du courriel affirme que la FERL ne peut être qualifiée d’association transparente, il reste que l’implication financière et organisationnelle de l’IFCE pourrait justement conduire à cette requalification, avec des conséquences juridiques et budgétaires.
Sachant qu’en reconnaissant ces financements et en écartant trop rapidement l’éventualité d’un contrôle, ce mail pourrait constituer une preuve involontaire d’une gestion publique discutable, exposant l’IFCE à des recours contentieux ou un contrôle de la Cour des comptes.
