Bayrou youtubeur : un storytelling d’endettement pour faire oublier les cadeaux aux entreprises

François Bayrou sur Youtube le 5 aout - Photo - YT
François Bayrou sur Youtube le 5 aout - Photo - YT

C’est dans un format inédit, mais en réalité très balisé — n’est pas un influenceur qui veut — que François Bayrou a tenté, le 5 août sur YouTube, de reconquérir l’opinion. Dans FB Direct, un monologue en plan fixe de huit minutes, le Premier ministre prétend instaurer un « dialogue direct » avec les Français. Mais ce premier épisode ressemble davantage à un storytelling d’austérité qu’à un véritable exercice démocratique.

Dès les premières secondes, le ton est presque au foutage de gueule : « entre les efforts qu’on choisit et les sacrifices qu’on subit, c’est là qu’est aujourd’hui la question qui va se poser à chacun des Français ». Le Premier ministre ne cherche pas à débattre, mais à imprimer une dramaturgie budgétaire où l’urgence justifie tout. « Ce mal, c’est le surendettement », dit-il, comme on évoque une maladie honteuse. Reste que c’est plutôt la maladie du politique que celle du citoyen, non ? Et pour bien montrer qu’il est en première ligne, il précise : « Tous les responsables partent en vacances bien méritées, ce que je ne ferai pas… » Ridicule ? Presque… Mais c’est son sacrifice…

Ce tableau alarmiste, François Bayrou l’illustre à coup de chiffres bruts. Notamment celui-ci : « Chaque seconde de chaque jour et de chaque nuit, la dette de la France augmente de 5 000 euros. » Un chiffre censé sidérer l’opinion, comme les 3 345,8 milliards d’euros de dette publique, soit 114 % du PIB. Mais petit rappel à Squeezie Bayrou : selon la CGT, le montant total des aides publiques versées aux entreprises privées en 2024 atteint 211 milliards d’euros, soit 6 690 euros par seconde. Une mise en perspective totalement absente du discours du Premier ministre.

Plu grave : la CGT estime qu’en 2025, 125,2 milliards d’euros ont déjà été versés aux entreprises, sans condition, sans contrepartie, sans effet sur l’emploi. Mais de ces transferts massifs, François Bayrou ne dit rien. Pas un mot. Il préfère convoquer le registre domestique : « Quand on est obligé d’emprunter non pas pour acheter une maison […] mais simplement pour payer les frais de tous les jours […] ça s’appelle le surendettement. » Une métaphore de bon père de famille, aussi fausse que trompeuse.

Car un État ne rembourse pas sa dette comme un prêt classique. Il la refinance sur les marchés, à des conditions qui dépendent de la politique monétaire européenne. Or, depuis l’euro, la France ne contrôle plus sa monnaie ni ses taux d’intérêt, fixés par la Banque centrale européenne (BCE). Et ces taux ne sont plus bas : 3,6 % sur les obligations à 10 ans. La charge de la dette, comprendre le montant total des intérêts est estimée à 75 milliards d’euros par an dès 2027 selon Bercy. Et là encore, l’influenceur Bayrou dramatise : « En 2029, si nous ne faisons rien, ce sera 100 milliards. 100 000 millions d’euros de charges de la dette. » Bayrou est comme un poids lourd dans son inflation lexicale qui peine à masquer les angles morts de son raisonnement.

Autre oubli stratégique : la structure de la dette. « On ne peut pas repousser à demain quand on a atteint […] une somme qu’on ne peut pas se représenter », dit-il. Certes. Mais ce qu’il ne dit pas, c’est que 53,2 % de cette dette est détenue par des créanciers étrangers, selon la Banque de France. Une donnée qui contredit le mythe d’une dette maîtrisable, domestique, souveraine. Elle expose au contraire la France aux aléas des marchés internationaux.

Puis vient la charge émotionnelle : ce youtubeur et Premier ministre évoque « nos voisins [qui] ont coupé dans les retraites : -30 % en Grèce, -10 % en Espagne », avant d’affirmer : « si nous ne décidons pas de nous ressaisir, alors c’est que nous sommes irresponsables devant nos enfants. » Bref ! Ressort classique : si vous refusez les sacrifices, vous trahissez la nation.

Reston lucide, ce FB Direct tombe à point nommé. Impopulaire (18 % d’opinions favorables), isolé au Parlement, François Bayrou cherche à préempter le débat et à éviter les questions gênantes. Il anticipe les critiques : « je suis assez souvent minoritaire dans l’idée que je me fais de la politique. » Mais il se rêve en guide providentiel : « c’est vous qui allez décider de cela. »

L’ennui, c’est que ce pseudo « échange direct » n’a de direct que le nom. Pas de live, pas d’interaction, pas de contradiction. Juste une vidéo postée en ligne, à l’heure de la sieste estivale, pour justifier un plan d’économies de 44 milliards d’euros, qui cible les services publics et le modèle social : deux jours fériés supprimés, prestations sociales gelées, budget santé rogné.

Malgré une volonté affichée de transparence, ce Premier ministre youtubeur simule le débat démocratique sans jamais l’ouvrir. François Bayrou donne surtout l’impression d’un pouvoir qui parle tout seul. Et qui, après la fast fashion, pourrait bien être à l’origine de la fast politique : ce storytelling institutionnel qui recycle la peur pour vendre l’austérité, en 8 minutes chrono et sans contradiction.

[VIDEO] Quand Bayrou tente de jouer au youtubeur :

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