Le député LFI sortant non réélu de la 4 ème circonscription de l’Hérault (99 communes très espacées les unes des autres, du bassin de Thau jusqu’au Larzac avec les Cévennes, le Pic Saint Loup et la Vallée de l’Hérault), Sébastien Rome, a accordé en juillet une interview au média au titre prometteur « Le Vent de lève » – LVSL. Il y conteste les analyses de François Ruffin qui oppose « la France des bourgs à celle des tours » et propose une autre grille d’analyse fondée sur la notion de centralité, la nature de l’économie et les marqueurs culturels. Une réflexion qui intéresse évidemment la 7ème circonscription. Extraits
Pour Sébastien Rome, la 1ère raison du succès du RN tient au « phénomène majeur des deux dernières années [qui] est la convergence ordo-libérale du centre et du RN. D’un côté, le RN a abandonné le peu de mesures sociales qu’il portait pour s’attirer les bonnes grâces du pouvoir économique – qui le lui rend bien dans les médias. De l’autre, la Macronie a adopté de nombreuses mesures du RN (port de l’uniforme à l’école et classes de niveau, fin du repos hebdomadaire pour les vendangeurs, préférence nationale, loi immigration…) croyant attirer ses électeurs. Ce faisant, elle a tout simplement légitimé l’original, plutôt que la copie, et ouvert un passage des électeurs de droite et du centre vers le RN.
Localement « les effets du tourisme de masse sont ravageurs du point de vue social, environnemental et économique. Les taux de chômage dans le sud (la zone d’emploi avec le plus de chômage en France est Pézénas-Adge, depuis des années) sont parmi les plus hauts de France. L’inflation immobilière renforce l’enrichissement de certains et prive les jeunes locaux de la possibilité de se loger sur place. Rien n’est mis en place pour accueillir les travailleurs saisonniers qui ont tant perdu avec les réformes du chômage successives. Le bilan environnemental, en termes de consommation d’espace agricole et d’eau pour trois mois d’activité, doit nous interroger. L’installation de nouvelles populations, notamment de retraités, qui n’ont pas pris les habitus locaux, sur un temps très court, coïncide avec les très hauts scores du RN ».
Il en déduit qu’« Il est temps de penser à l’installation d’activités économiques de production et d’arrêter avec une économie de la consommation. Dans le sud, ce sont des gens qui ne sont pas d’ici qui vendent et consomment le plus de produits fabriqués ailleurs. Le côté méditerranéen est un décor, pas un support à la création de richesses.
À LVSL qui l’interroge sur les thèmes de la campagne, Sébastien Rome constate que « pendant cette campagne éclair, le national a tout écrasé. La candidate RN, parachutée, n’a même pas mis son visage sur les affiches, ni sur les professions de foi. Jordan Bardella et Marine le Pen étaient les seuls arguments du côté du RN. De mon côté, j’ai tenté de « localiser » ma campagne. J’ai mis en avant mon travail de terrain reconnu par tous, même par la presse locale, pourtant peu aimable avec la France insoumise habituellement. J’ai mis en avant ma personnalité : je suis un enfant du pays, qui connait les habitudes, les manières de dire et de faire. J’ai aussi montré ma capacité à faire du consensus localement comme à l’Assemblée nationale, autour de textes d’enjeu majeur pour ce territoire : la mobilité, l’accès à la santé et la défense des services publics, le droit à l’emploi… J’ai eu un vrai bilan à défendre malgré un mandat de seulement deux ans ».
Concernant son désaccord avec l’analyse de François Ruffin, il explique : « La question n’est pas d’avoir des impressions vagues à des fins de communication, mais de connaître la France et la littérature scientifique sur ce sujet. La première impression vague, qui consiste à généraliser le cas de la Somme, est une erreur intellectuelle majeure. Imaginons que nous généralisions le cas des Pyrénées Orientales : la ville-centre vote RN et les villages votent NFP. L’ouest de la France donne des majorités à Renaissance et au NFP. Il n’y aurait pas d’ouvriers blancs dans l’ouest ? C’est la principale zone de création d’emploi industriel. François Ruffin, malheureusement, reprend la lecture de Christophe Guilluy, largement démenti par toute la communauté scientifique. Il explique que nous [la gauche] aurions tout donné aux quartiers populaires – et donc aux immigrés – et que l’État a abandonné les territoires ruraux – et donc les blancs. La rhétorique est la même chez François Ruffin : la France insoumise ne s’occuperait que des quartiers et oublierait les territoires ruraux. Bien sûr, le RN veut désavantager les quartiers les plus pauvres pour flatter les campagnes, quand François Ruffin veut les réconcilier. Mais il accepte les règles du jeu fixées par cette grille de lecture, séparant les uns et les autres, au lieu d’inventer un autre discours.
La seconde impression vague, qui suit la première, consiste à croire que le NFP, et notamment la FI, ne progresse ou n’est devant le RN que dans les plus grandes villes. Albi, Apt, Avignon, Amiens, Abbeville, Etampes, Gap, Limoges, Le Mans, Mende, Valence…mais aussi de nombreuses petites villes autour de 10.000 habitants ont pourtant vu une progression de la gauche ! La règle est plutôt la suivante : plus grande est la ville, plus importante sera la probabilité d’un vote de gauche élevé.
La relation territoriale que l’on observe fréquemment réside plutôt dans un rapport entre la centralité, qui vote à gauche, et la périphérie, qui vote RN à toutes les échelles de territoires. Dans les petites centralités, on retrouve majoritairement le secteur public comme employeur – malgré toutes les difficultés qu’il rencontre – et des personnes aux revenus faibles (moins de 1250€ par foyer) qui ne votent pas, votent RN (38%) mais aussi NFP (35%). C’est particulièrement vrai dans l’arc méditerranéen où le RN a gagné pratiquement toutes les circonscriptions. Si on regarde de loin, seules les villes de Montpellier, Avignon et Marseille ont « résisté ». On observe là l’effet du découpage territorial et celui du tourisme de masse, dont j’ai parlé, qui pèse dans le résultat final. Si on regarde de plus près, on retrouve en Piémont, dans les montagnes et autour des petites centralités, un vote NFP.
Les cartographies d’Hervé le Bras analysant les aspects culturels et historiques du vote, localisés sur des terres, sont efficaces pour prédire les résultats d’une élection. C’est donc la lecture globale des villes contre les campagnes que je conteste, à partir de la recherche en sciences sociales mais aussi de mon expérience de terrain. Il y a des tours dans les bourgs. Il y a aussi des flux entre les tours et les bourgs : les habitants des tours vont vivre dans les bourgs dès qu’ils ont un emploi et inversement, quand ils vivent dans un logement insalubre de centre-ville, et qu’ils espèrent
Sébastien Rome répond ensuite à plusieurs questions sur la sociologie du vote RN, ses ressorts – y compris le racisme – et la nécessité pour la gauche d’intégrer la (les) culture(s) populaire(s) pour faire lien. « Si nous refusons l’assignation sociale, nous n’avons pas à la reproduire. Les êtres humains sont des infinis, disait Émile Durkheim. Nous devons donc ouvrir des chemins positifs dans lesquels ces électeurs peuvent aussi se reconnaître. »
