Accaparement de l’eau : les mégabassines, un projet jugé inéquitable au service des grands exploitants agricoles

Les Écologistes et la Coord'eau : unir nos forces - Photo - Lise Florès
Les Écologistes et la Coord'eau : unir nos forces - Photo - Lise Florès

Le 8 avril 2025, une manifestation contre les mégabassines se déroulait devant l’Hôtel du Département à Montpellier, cela alors qu’une réunion du comité stratégique avait lieu à l’intérieur. Si les représentants du collectif citoyen Coord’Eau 34 n’ont pas été autorisés à participer, les décisions prises en leur absence risquent de creuser davantage le fossé entre les partisans et les opposants du projet.

Le Conseil Départemental réduit la voilure, mais persiste à soutenir l’initiative alors que les critiques se multiplient sur le modèle de gestion de l’eau qui favoriserait principalement les grands exploitants agricoles au détriment des plus petits.

Le projet de mégabassines, lancé par le Conseil Départemental de l’Hérault, prévoit la construction de plusieurs retenues d’eau hivernales dans le but affiché de sécuriser l’irrigation agricole en période de sécheresse. Toutefois, ce projet suscite de vives critiques. Une manifestation, organisée le 8 avril 2025, a réuni citoyens, collectifs, associations et militants écologistes qui dénoncent l’injustice sociale et les impacts environnementaux du projet. La réunion du comité stratégique qui se tenait ce jour-là a donné lieu à une série de décisions controversées.

Une réunion sans voix citoyenne

La réunion du comité stratégique, bien que cruciale pour la suite du projet, s’est déroulée sans la présence des représentants des manifestants. En dépit des demandes d’une concertation plus large, les collectifs citoyens n’ont pas été autorisés à participer à ces échanges. Pourtant, ces derniers considèrent le projet comme un accaparement des ressources en eau, privilégiant les intérêts des grands agriculteurs et viticulteurs au détriment des plus petits exploitants et des habitants et estiment donc que les citoyens doivent être décisionnaires.

Le soutien du Conseil Départemental et les choix opérés

Lors de cette réunion, le comité stratégique a décidé de poursuivre deux projets de retenues d’eau hivernales : ceux de Florensac et de Pouzolles l’Étang. En revanche, trois autres projets ont été abandonnés pour des raisons sociales et environnementales jugées non soutenables (Coulobres, Autignac, Pouzolles la Prade). Ces retenues, alimentées par l’eau du Rhône pendant l’hiver, sont censées fournir une réserve pour l’été, afin de soutenir l’agriculture pendant les périodes de sécheresse. Le Conseil Départemental a insisté sur le fait que ces projets n’entraîneraient pas de prélèvements dans les nappes phréatiques, ce qui a été un point d’argumentation majeur pour rassurer la population.

Une gestion de l’eau au profit des grands exploitants

Les opposants au projet demandent des garanties sur ce point et indiquent qu’il ne suffit pas à régler leur opposition. Une des principales questions qui se pose est celle de l’accès à ces infrastructures. Selon Elisabeth Jaune, membre du collectif Coord’Eau 34 et secrétaire du groupe local écologiste Vallée de l’Hérault, ces projets de mégabassines bénéficient avant tout aux grands agriculteurs et viticulteurs. « Les coûts / ha d’accès à ces infrastructures peuvent atteindre 1000 à 1200 € par an pour les exploitants », explique-t-elle. Un montant qui, bien que jugé acceptable pour les grands exploitants, représente un obstacle majeur pour les petites exploitations, qui se retrouvent exclues du dispositif.

« Une agriculture industrielle qui ne profite qu’à quelques privilégiés »

Cet accaparement des ressources en eau par les plus grands exploitants se manifeste aussi par l’utilisation stratégique des réserves d’eau. En effet, ces bassines sont là pour contourner les arrêtés préfectoraux de crise qui interdisent l’irrigation pendant les périodes de restriction estivale. Maintenus dans un système traditionnel, les petits exploitants n’ont pas accès à de telles réserves et doivent se conformer aux interdictions de prélèvement lorsque les nappes sont basses. Avec les mégabassines, seuls les plus grands exploitants pourront continuer à irriguer leurs cultures, alors même qu’ils auront participé par leurs prélèvements à l’assèchement de la ressource, privant ainsi doublement les plus petits de l’accès à l’eau.

Les critiques des opposants portent ainsi sur la nature même de ce modèle : « En réalité, ce projet détourne l’eau des rivières, en l’occurrence du Rhône, dont le débit est déjà menacé, pour l’accumuler dans des bassins artificiels, au service d’une agriculture industrielle qui ne profite qu’à quelques privilégiés », souligne Elisabeth Jaune. C’est un modèle qu’on pourrait qualifier de « californien » ou même « chilien », où l’accès à l’eau est réservé à ceux qui ont les moyens d’investir dans des infrastructures massives.

Les impacts environnementaux

Outre les aspects sociaux et économiques, les opposants notent les risques environnementaux du projet. Selon les explications d’Emma Haziza, hydrologue, le prélèvement massif d’eau pour alimenter ces bassines pose des problèmes écologiques évidents. « Lorsque l’on prélève de l’eau dans les rivières et les nappes, on crée une déconnexion entre les écosystèmes aquatiques et les nappes phréatiques, ce qui perturbe gravement la biodiversité locale », avertit-elle. De plus, les pertes d’eau dues à l’évaporation, en particulier pendant les périodes de canicule, sont importantes, allant de 20 à 40 % du volume stocké, et rendent l’investissement encore plus discutable du point de vue écologique.

La mobilisation continue face à un système qui accapare l’eau

Cette manifestation n’est qu’une étape dans une contestation plus large contre les mégabassines. Les citoyens et les collectifs continuent de réclamer un moratoire et une concertation plus approfondie sur les choix de gestion de l’eau. Pour les opposants, ce projet n’est qu’une solution temporaire qui est inappropriée face aux enjeux à long terme liés au changement climatique et à la préservation de la biodiversité. Ils appellent à des solutions plus durables et inclusives, qui ne privilégient pas les grands exploitants, mais bénéficient à l’ensemble des acteurs, petits et grands, de l’agriculture. En particulier, ils invitent le département à réorienter les fonds vers la formation et l’accompagnement des agriculteurs vers des méthodes agricoles et viticoles moins gourmandes en eau et plus résilientes face aux sécheresses à venir.

Le projet de mégabassines dans l’Hérault divise, et les critiques sont de plus en plus vives. Tandis que le Conseil Départemental soutient cette initiative en arguant qu’elle permettrait de répondre aux défis de la sécheresse, les collectifs citoyens dénoncent un système qui accapare l’eau, ne tient pas compte des enjeux climatiques à moyen et long terme, et pénalise à court terme les petits exploitants. La mobilisation contre les mégabassines pourrait se poursuivre, tandis que le débat sur la gestion de l’eau en période de crise ne semble pas prêt de trouver une solution consensuelle.

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